Parallèles : Mt 3,1-6 | Mc 1,1-3 | Jn 1,19-23
2ème dim. de l’Avent (C) Lc 3,1-6
L’épisode du jeune Jésus au Temple a clos les récits de l’enfance (Lc 1-2). Et comme pour ces derniers, les épisodes, ouvrant le ministère de Jésus, sont introduits par la mention de Jean le baptiste.
L’an quinze (3,1-2)
3,1 L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, 2 les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Au temps de…
L’évangéliste Luc ouvre une nouvelle page de son évangile par un sommaire historique. Pour la naissance de Jean le baptiste, il avait déjà mentionné Hérode le Grand (37-4 av. J.-C.), et pour celle de Jésus, l’empereur Auguste (27 av. – 14 apr. J.-C.) ainsi que le gouverneur Quirinius (6-9 apr. J.-C.). Cependant, ces indications chronologiques servaient davantage son discours. À l’enfant Jean est associé le prince de Judée, mais pour Jésus, Luc mentionne des noms liés à l’empire, conférant à l’avènement du Christ une dimension plus universelle.
Cette fois, Luc paraît plus précis en citant les successeurs des précédents. L’an 15 de l’empereur Tibère (14-37), successeur d’Auguste, correspond à l’an 28 de notre ère. L’ensemble de ces nouvelles indications permet aussi à Luc de placer les acteurs qui joueront un rôle actif dans la mort du baptiste et lors du procès de Jésus. Hérode Antipas (4 av. – 39 apr. J.-C.) et Philippe, son frère, (4 av. – 34 apr. J.-C) seront mentionnés lors l’emprisonnement de Jean (3,19). Et nous retrouverons, lors du procès de Jésus (23,1sq) Ponce Pilate (préfet de Judée 26-37) et les grands-prêtres dont Caïphe (Grand-prêtre en 18-37), gendre de l’influent Hanne (Grand-prêtre de 6-15 . Seul Lysanias1 (29-37) échappe à la règle.
Luc reprend, en cela, le procédé du rédacteur du livre de l’Exode lorsque vint l’avènement de la sortie d’Égypte.
Ex 1,8 Un nouveau roi vint au pouvoir en Égypte. Il n’avait pas connu Joseph. Et plus tard : 4,29 Au pays de Madiane, le Seigneur dit à Moïse : « Va, retourne en Égypte, car ils sont morts, tous ceux qui en voulaient à ta vie. »
Le temps d’Hérode le grand et de l’empereur Auguste est terminé, ouvrant un nouveau chapitre. Dans ces premiers versets, la géographie compte tout autant. L’ensemble de l’ancien et grand royaume d’Israël davidique est convoqué : depuis la Rome de Tibère jusqu’à l’Abilène de Syrie et le Galilée. Pourtant, au milieu de ce monde, et des grands de ce monde, la Parole de Dieu n’advint ni aux empereurs, ni aux princes hérodiens, pas même aux grands-prêtres, mais à Jean, au désert et non en un palais, ni au Temple.
La Parole de Dieu vient
‘La parole de Dieu fut adressée à’ (3,2). Cette parole de Dieu est ainsi présentée comme le premier sujet et actrice décisive de l’histoire. Or celle-ci ne s’adresse à aucun ces puissants précités. Comme, hier, Dieu choisit ces ‘moins-que-rien’ pour porter son message. Ces versets introductifs évoquent ceux des livres des prophètes qui sont, très souvent, introduits par un sommaire historique :
- Jr 1,1 La parole du Seigneur lui fut adressée au temps de Josias, fils d’Amone, roi de Juda, la treizième année de son règne.
- Os 1, 1 Parole du Seigneur adressée à Osée, fils de Beéri, au temps d’Ozias, de Yotam, d’Acaz, d’Ézékias, rois de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d’Israël.
- De même pour d’autres livres des prophètes : Jl 1,1 Mi 1,1 ; So 1,1 ; Ag 1,1 ; Za 1,1.
Luc présente donc le ministère de Jean à la manière d’une introduction aux livres prophétiques. Ces derniers annoncent, généralement, le jugement de Dieu sur une situation de détresse ou de déliquescence avant l’intervention divine au jour grand et redoutable (Ml 3,23). Le retour du prophétisme, déjà introduit avec les récits d’annonciation, devient maintenant effectif. Il annonce l’avènement du Messie et du Jugement divin. Jean devient ainsi, sous la plume de Luc, déjà, le prophète des temps derniers.
Voix de celui qui crie dans le désert (3,3-6)
3, 3 Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, 4 comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. 5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ; 6 et tout être vivant verra le salut de Dieu.
Jean au Jourdain
Le podcast possède un dossier sur Jean le baptiste. Cf. Jean, le baptiste : de l’histoire aux évangiles (Podcast). La version écrite (PDF) est offerte aux abonnés à la newsletter et aux contributeurs.
Le ministère de Jean se déroule dans la région du Jourdain. Le choix n’est pas anodin et cela à plusieurs titres. Premièrement, cette rivière représente la porte d’entrée des douze tribus, franchie à pieds secs (Jos 3,1), vers la terre promise, selon le livre de Josué (Jos 1,2 sv.). Le Jourdain rappelle la promesse faite à Moïse et aux hébreux d’une région où coulent le miel et le lait et libérée de toute servitude (Ex 3,8).
Cependant, le Jourdain représente aussi ce lieu que le prophète Élie franchit à son tour avant d’être enlevé auprès de Dieu (2R 2,8). Or, le prophète Élie est celui dont, selon Malachie, le retour est attendu à la fin des temps. Dans la bouche de Jean résonne aussi les mêmes paroles aux accents de pardon :
Ml 3, 1 Voici que j’envoie mon messager pour qu’il prépare le chemin devant moi ; […] 23 Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable. 24 Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils, et le cœur des fils vers leurs pères, pour que je ne vienne pas frapper d’anathème le pays !
Enfin, le Jourdain est, au temps du baptiste, une région frontalière allant de la Judée à la Galilée, et longeant la Samarie. Comme si la proclamation de Jean devait aussi résonner tant en Judée qu’en Décapole, Pérée et autres contrées. Mais, surtout, ce baptême de conversion appelant au Pardon, se situe en marge du Temple, lieu cultuel unique des sacrifices de réparation et de la fête des Expiations des péchés. L’annonce de la naissance du baptiste, ainsi que sa circoncision, nous avait déjà préparé à cette rupture d’avec le Temple et, surtout, la classe sacerdotale. Ce baptême correspond à une plongée dans l’eau vive du Jourdain préparant les croyants à accueillir d’un cœur purifié ce règne de Dieu espéré. Le prophète Ézéchiel, en son temps, annonçait ce renouvellement de l’Alliance en ces termes :
Éz 36 , 24 Je vous prendrai du milieu des nations, je vous rassemblerai de tous les pays, je vous conduirai dans votre terre. 25 Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. 26 Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. 27 Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. 28 Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères : vous, vous serez mon peuple, et moi, je serai votre Dieu.
Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur
Les premières paroles de Jean reprennent une citation du prophète Isaïe (Is 40,3-5). Ces versets sont situés dans la partie du livre d’Isaïe, appelée le livre de la consolation, déjà évoquée par le prophète Syméon devant l’enfant Jésus (2,35). En ces versets, Isaïe espérait, avec le retour des juifs exilés à Babylone, la venue de la gloire du Seigneur (40,5) en son Temple, au cœur de Jérusalem (40,2).
Cependant, Luc a omis ces versets et à préférer une formule plus générale, et plus universelle, pour annoncer : tout être vivant verra le salut de Dieu. Or ce salut – déjà admiré par Syméon (2,30), et ce sauveur annoncé par les anges (2,11), se montrera bientôt, et cela, une fois encore, de manière inattendue.
Les traductions nous livrent ces premiers mots : Voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur. » Pour autant, la ponctuation étant absente des manuscrits grecs, nous pouvons aussi lire : Voix de celui qui crie : « dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur. » Ainsi est, d’ailleurs, traduit le même verset chez Isaïe (Is 40,3).
Car c’est bien au désert, que Dieu manifestera sa fidélité et sa totale confiance en Jésus, par la venue de l’Esprit Saint (4,2). C’est aussi au désert (4,42 ; 5,16) que Jésus se retire pour prier. C’est au désert que Luc place également la multiplication des pains (9,12) et la recherche d’une brebis perdue (15,4). Ce désert-là n’est pas seulement un lieu géographique. Il représente ce chemin de révélation de Dieu et de conversion du peuple, comme autrefois Moïse et les fils d’Israël, errant depuis l’Égypte, avant d’entrer en terre promise par le Jourdain.
- Ce personnage n’a que très peu laissé de traces dans les archives de l’histoire. Il fut probablement, un des fils d’Hérode le Grand et d’une de ses épouses ou concubines. ↩︎