Parallèles selon les péricopes
3ème dim. ord., (C)
Lc 1,1-4 et 4,14-21
Le temps du jeûne au désert est terminé, et s’ouvre celui de la mission en Galilée. L’évangéliste Luc place la toute première scène, lors d’un sabbat à la synagogue de Nazareth. Ce lieu et ce moment choisi servent à l’inauguration et l’annonce solennelles d’un temps nouveau : l’aujourd’hui du Christ.
Ce passage est composé en deux parties. La première (4,14-21) concerne la proclamation solennelle. La seconde (4,22-30) rend compte des réactions du public à la prédication de Jésus.
Dans la puissance de l’Esprit (4,14-15)
Parallèles : Mt 4,12-17 | Mc 1,14-15
4, 14 Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. 15 Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Renommée et enseignement
Luc ne semble pas s’embarrasser de préliminaires et présente d’emblée la renommée de Jésus en Galilée, sans nous en dire plus. L’évangéliste souligne cette puissance de l’Esprit, accompagnant Jésus, et exprimant le lien fort en le Christ et le Père. Cette présence de l’Esprit, comme je l’ai signalé précédement, manifeste, aussi, l’avènement du temps eschatologique. Or cette renommée de Jésus est particulièrement liée à sa prédication, à sa Parole. Tous font son éloge, du moins pour le moment.
A la synagogue de Nazareth (4,16-21)
4, 16 Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. 17 On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, 19 annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. 20 Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. 21 Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
À Nazareth
Jésus, pourtant rempli d’Esprit Saint, dont la renommée a déjà fait le tour de la Galilée, retrouve, humblement, sa petite bourgade natale. Luc le présente comme un habitué de la synagogue. L’homme s’inscrit dans la foi d’Israël. Il s’est nourri, a grandi, a mûri dans la foi et la prière de ses pères, dans ce judaïsme de Galilée, à Nazareth. Comme tout bon croyant, il rejoint sa communauté, à la synagogue, pour l’ouverture du sabbat. Mais Nazareth nous renvoie aussi à l’annonciation du Sauveur.
Un sabbat
Ce moment n’est pas anodin et vient donner sens au ministère de Jésus qui va s’ancrer dans l’histoire du salut et le dessein de Dieu. Le sabbat, ou shabbat, n’est pas seulement un jour chômé dans le Judaïsme, pour imiter le repos de Dieu. Dans la Loi, il est lié à deux manifestations divines.
La première concerne le repos du Créateur qui, est aussi la consécration du temps (cf. 7ème jour Gn 2,1-4a). Ce lien entre création et sabbat est exprimée dans le décalogue du livre de l’Exode .
Ex 20, 11 Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié.
Le sabbat devient alors un signe de l’alliance perpétuelle entre Dieu et son peuple :
Ex 31,16 Les fils d’Israël observeront le sabbat en le célébrant de génération en génération : c’est une alliance éternelle. (cf. aussi Ez 20,12-20)
Dans le décalogue du livre du Deutéronome, le même sabbat est associé à l’événement de la sortie d’Égypte :
Dt 5,15 Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte, et que le Seigneur ton Dieu t’en a fait sortir à main forte et à bras étendu. C’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a ordonné de célébrer le jour du sabbat.
Le sabbat célèbre ainsi Dieu délivrant son peuple de toute servitude. Comme nous le verrons ci-après, la lecture du livre d’Isaïe viendra éclairer cette délivrance d’Israël par son Messie. Lié à l’Alliance perpétuelle, le sabbat porte en lui un caractère eschatologique : il ne célèbre pas seulement un passé (création ou exode) mais aussi un avenir : celui d’une création renouvelée et d’une délivrance, attendues, dont la célébration présente, au jour du sabbat, en est le signe. Le sabbat est une fête des plus importantes dans ce judaïsme du Ier siècle et Luc va en souligner l’importance.
Un instant solennel
Jésus, comme à son habitude, se lève pour la lecture d’un passage du livre d’Isaïe. L’évangéliste insiste sur cette démarche liturgique par la succession des gestes : Jésus se lève, on lui remet le livre, il l’ouvre … puis il le referme, le redonne et s’assoie. Ce qui peut apparaître comme des détails donne au texte une réelle solennité. Cette gravité ne met pas tant en scène Jésus, le lecteur inspiré, que le livre lui-même. Le passage ainsi proclamé prend toute son importance. Jésus est lui aussi, serviteur de la Parole de Dieu. Nous ne connaissons pas exactement, le rituel du sabbat au Ier siècle en Galilée. Dans la tradition juive, à la synagogue, lecture est faite de la Torah et/ou d’un passage des prophètes. Ici, il en est de même : la Parole de Dieu est au centre.
Isaïe et l’année favorable
Jésus lit un passage du livre du prophète Isaïe (Is 61,1-3a LXX). Le prophète annonce la venue du Messie, celui qui a reçu l’onction, aux temps derniers, venant délivrer son peuple de son aveuglement et de toute injustice…
Si précédemment, avec les tentations (4,1-13), Luc avait montré la figure particulière du Messie, se refusant à tout pouvoir divin abusif, ici, le récit montre aussi un changement de perspective quant à l’avènement du temps messianique. Isaïe espérait cet avènement de Dieu dans la vie de son peuple, tel un grand jubilé libérateur mais aussi un jour de vengeance pour notre Dieu (Is 61,3b). L’omission,lors de la proclamation, de ce jour de vengeance est à dessein, et permet à Luc d’insister sur cette année favorable comme un temps de véritable miséricorde.
L’année favorable renvoie aux années jubilaires décrites dans le livre du Lévitique (Lv 25, voir aussi : Ex 21,2 ; Dt 15,12 ; Jr 34,14). Tous les sept ans, ainsi qu’à la 50ème année, les fils d’Israël étaient invités à effacer les dettes de leurs frères, à libérer leurs esclaves hébreux, à offrir à la terre un repos de jachère. Ces années de faveur avaient pour but de rendre justice à la manière de Dieu sur la terre d’Israël dans un esprit de communion et de libération. L’avènement du règne de Dieu, au jour du Seigneur, relevait de cette libération de dette et de la délivrance de toute injustice.
C’est l’annonce d’Isaïe que Jésus vient actualiser par un commentaire des plus concis.
L’aujourd’hui vital de Jésus
Au jour de colère se substitut l’aujourd’hui du Christ : Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture. Jésus s’affirme ici comme l’envoyé, consacré et oint par le Seigneur, qu’on appelle Messie ou Christ. Il est bien Celui sur qui l’Esprit repose manifestement depuis le baptême de Jean au Jourdain (3,22). Mais cela, c’était hier. Bien sûr le ministère de Jésus, à partir de Capharnaüm, sera marqué par ces délivrances, ces yeux aveugles ouverts, ces pauvres réconfortés (4,31-44) Mais ce sera pour plus tard. Dès lors quel est cet aujourd’hui ?
Nous retrouvons ce mot à plusieurs endroits dans l’Évangile selon Luc. C’est l’aujourd’hui d’un Sauveur qui nous est né (2,11), l’aujourd’hui du riche publicain Zachée chez qui Jésus veut demeurer (19,5) et l’aujourd’hui du larron en croix qui sera avec Lui dans le paradis (23,43).
C’est donc l’aujourd’hui du salut qui s’adresse à tous, et en tout temps, les justes comme les pécheurs, les pécheurs comme les criminels, les riches comme les pauvres, les juifs comme les païens… C’est l’aujourd’hui d’une rencontre, non point passagère, mais une rencontre déterminante, durable et salvatrice. L’aujourd’hui de Luc se confond avec le Christ et sa parole de Salut pour tous ceux qui l’accueillent dans la foi, y compris dans une foi hésitante, y compris au sein du monde païen, comme le soulignera la suite de cet épisode.