Parallèles : Mt 4,18-22 | Mc 1,14-20 | (Jn 1,35-51)
L’appel des premiers disciples dans l’évangile selon saint Luc a une couleur bien particulière. Marc et Matthieu soulignaient à cet endroit l’immédiateté de la réponse à l’appel de Jésus en un récit bref de cinq versets. Luc insère cet appel dans un passage comprenant un enseignement de Jésus et une pêche miraculeuse.
Tandis qu’André a disparu de la scène, le personnage de Simon (Pierre) obtient une place majeure. Jésus monte dans sa barque et Simon lui confessera son état d’homme pécheur. Dans les récits parallèles, les évangélistes Matthieu (Mt 4,18-22) et Marc (Mc 1,16-20) ne notaient aucune parole des disciples et pour seul geste l’abandon des filets.
De la barque, il enseignait (5,1-3)
Lc 5,1 Or, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. 2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. 3 Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
La barque de sa Parole
Ce qui d’emblée peut nous surprendre, c’est le rapprochement, voire l’identification, entre Jésus et la parole de Dieu. L’empressement de la foule ne tient pas aux signes et miracles précédents mais à la parole de Dieu provenant de Jésus. Nous le devinions déjà : le Nazaréen est l’aujourd’hui (4,14-21),et l’accomplissement de cette Parole divine, une Bonne Nouvelle pour un temps de grâce.
Dans ce passage, la barque est mise en évidence : le mot est répété trois fois. Le choix de celle de Simon, nous rappelle qu’il ne nous est pas inconnu depuis la guérison de sa belle-mère (4,38). Dans l’évangile de Luc, Jésus est celui qui vient prendre place dans la vie des croyants. Nous le reverrons encore à l’occasion de la rencontre avec Zachée chez qui il souhaite demeurer (19,5). Jésus est souvent celui qui prend place chez les uns et les autres, pour mieux les déplacer. Et c’est bien un déplacement, une conversion à laquelle va être appelé Simon, au sein d’une barque, barque du quotidien, obligeant à la proximité.
Avance au large (5,4-7)
5, 4 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » 5 Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » 6 Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. 7 Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.
Le signe de la pêche
Les deux barques étaient sur le rivage, et eux nettoyaient vainement leurs filets. La pêche était finie. D’ailleurs il n’y a pas eu de pêche. Tant de peines pour rien. Pourtant Jésus leur demande de ragréer. Rien que ça. Bien plus, comme un gars de la campagne qui n’y connaît rien en navigation, il leur demande, avec aplomb, d’aller en plein jour (quand le poisson s’enfonce au frais), pêcher plus loin, donc un endroit encore plus profond…
Étonnamment, Simon accepte. Là encore la parole de de Jésus est au cœur du récit. C’est sur sa parole, une parole de grâce, pleine de folie et de déraison aux yeux des hommes, une parole de Dieu, que Simon, le pêcheur professionnel se laisse embarquer, se laisse diriger.
Si la pêche de Simon et ses compagnons s’était conclue par un échec, malgré leur savoir-faire, la pêche de Jésus est surabondante et aussi déraisonnable que sa Parole. Sa parole de Salut ne permet pas seulement aux poissons de foisonner au milieu des filets, elle oblige aussi au rassemblement des deux barques. Jésus a fait passer du « savoir-faire » ces pêcheurs du lac à un « faire-savoir » de ces futurs disciples qui est, déjà, celui du signe et du témoignage.
Le récit de cette pêche fait écho au le livre du prophète Ézéchiel :
Éz 47, 9 En tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner. Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre, et la vie apparaît en tout lieu où arrive le torrent. 10 Alors des pêcheurs se tiendront sur la rive depuis Enn-Guèdi jusqu’à Enn-Églaïm ; on y fera sécher les filets. Les espèces de poissons seront aussi nombreuses que celles de la Méditerranée.
Au lac de Génésareth, voici ces pêcheurs sur le rivage, ces filets à sécher, et ces poissons nombreux. La pêche miraculeuse rend compte de l’abondance attendu mais aussi du jugement comme le souligne la réaction de Simon Pierre.
Cf. série (podcast) : Pêches bibliques
L’appel au large (5,8-11)
5, 8 A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » 9 En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; 10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » 11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.
Éloigne-toi de moi
On se serait attendu à des cris de joie, des chants de louange à la suite d’un tel miracle. Mais le récit montre une réaction d’effroi et un tableau plutôt sombre qui contraste avec une pêche généreuse. Il faut comprendre le grand effroi de Simon dans son acception biblique. La crainte représente le sentiment du croyant face à Dieu, le juge divin. La réaction de Simon est significative de la reconnaissance même d’une présence divine devant laquelle l’homme se sent indigne du fait de ses péchés.
En une phrase Simon confesse ainsi sa faiblesse, sa condition pécheresse et, en même, il reconnaît en Jésus la présence même du Seigneur et juge eschatologique.
La réaction de Simon est presque risible. À bord de cette petite barque, sur ce lac, au large, sans échappatoire, Simon-Pierre demande à Jésus : Éloigne-toi de moi, Seigneur. En fait, il n’est nulle besoin de s’éloigner. Le royaume est proche annonçait Jésus et il n’a jamais été aussi proche de Simon-Pierre. Jésus s’est embarqué avec lui, ou plutôt a embarqué ce pécheur Galiléen avec lui, pour lui être plus proche. Ainsi Jésus appelle Simon non en raison de ses capacités de marin-pêcheur mais parce qu’il s’est reconnu comme humble pécheur s’étant laissé capturer à la Parole de Jésus.
Vers la vie
Loin de condamner, de réprimer Simon, Jésus l’appelle à la mission. Ce sont des hommes que tu prendras ou plus littéralement, que tu auras à capturer vivants. Cet appel fait écho au livre du prophète Jérémie annonçant la délivrance de son peuple exilé et bafoué :
Jr 16, 15 […] Je les ferai revenir sur leur sol, celui que j’ai donné à leurs pères. 16 Voici que j’envoie en grand nombre – oracle du Seigneur – des pêcheurs qui les pêcheront
Car Jésus se révèle ici comme un pourvoyeur de Salut, de pêche à partager, de vie surabondante. Plus que la pêche miraculeuse, Simon est ici le signe même de la mission évangélique : appeler des pécheurs, les tirer hors du mal pour les faire revivre. Jésus ouvre Simon et ses compagnons non plus sur un lac fermé mais sur un monde ouvert, où la parole de Dieu retentira en son Fils. Laissant là tout, y compris une pêche surabondante et lucrative, ils le suivirent.
L’épisode annonce bien des rencontres salvatrices avec les pécheurs de tout bord et de toute barque : la pécheresse chez Simon le pharisien (7,36-50), les deux fils de la parabole du père miséricordieux (15,11-32), Zachée (19,1-10), le larron en croix (23,26-43) et très bientôt Lévi le publicain (5,27-32).