Parallèles : Mt 9,1-8 | Mc 2,1-12
Après la purification du lépreux, à l’extérieur, Luc poursuit son récit avec la guérison et le pardon, du paralytique, à l’intérieur de la maison.
Le récit selon Luc
Le récit est commun aux trois évangiles synoptiques et précède l’appel de Lévi-Matthieu, le publicain. Dans son introduction à ce passage, Marc insiste fortement sur l’immense foule rassemblée dans et autour de la maison. Luc, quant à lui, décrit d’abord les futurs accusateurs : pharisiens et docteurs de la Loi (ou scribes).
La puissance du Seigneur était à l’œuvre (5,17)
5, 17 Un jour que Jésus enseignait, il y avait dans l’assistance des pharisiens et des docteurs de la Loi, venus de tous les villages de Galilée et de Judée, ainsi que de Jérusalem ; et la puissance du Seigneur était à l’œuvre pour lui faire opérer des guérisons.
De Galilée, de Judée et de Jérusalem
Luc décrit l’assemblée en désignant particulièrement les pharisiens et docteurs de la Loi, venus de toute la Galilée, de Judée, et de Jérusalem. La scène se présente, d’abord, comme une assemblée de savants religieux. Le groupe des pharisiens et leurs scribes furent très influents aux alentours du Ier siècle. Ils suivent scrupuleusement la Loi de Moïse et particulièrement les règles de pureté, y compris celles destinées aux prêtres du Temple.
Luc amplifie, exagérément, le succès de Jésus, au début de ce ministère. Après les grandes foules qui accourent pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies (5,15), c’est maintenant toute la caste pharisienne qui vient auprès de Jésus et cela depuis toute la Judée et la Galilée. La mention de Jérusalem tend aussi à montrer l’autorité pharisienne face à celle de Jésus.
Ils sont ainsi dans l’assistance, mais autrement. Leur présence est encadrée par deux actions de Jésus : l’enseignement et les guérisons effectuées par la puissance du Seigneur. Pharisiens et scribes semblent davantage être présents comme témoins ou juges qu’en tant qu’individus en attente de salut.
Un homme paralysé (5,18-20)
5, 18 Arrivent des gens, portant sur une civière un homme qui était paralysé ; ils cherchaient à le faire entrer pour le placer devant Jésus. 19 Mais, ne voyant pas comment faire à cause de la foule, ils montèrent sur le toit et, en écartant les tuiles, ils le firent descendre avec sa civière en plein milieu devant Jésus. 20 Voyant leur foi, il dit : « Homme, tes péchés te sont pardonnés. »
De la guérison au pardon
Au trou creusé dans le toit chez Marc, Luc préfère la mode des habitats hellénistiques couverts de tuiles. La foule empêche un groupe de passer et l’évangéliste souligne avant tout l’objectif de ces gens : faire entrer un homme paralysé et le placer devant Jésus. La personne même de Jésus est ainsi présentée comme la seule capable de le sauver comme le suggère, également, la mention précédente des guérisons.
La guérison miraculeuse est attendue. Cependant, Jésus fait entendre une parole de salut des plus inattendues : Homme, tes péchés te sont pardonnés. Sans avoir entendu le bénéficiaire, Jésus offre le pardon de manière immédiate. Il ne s’agit pas d’une promesse à venir, ni d’un appel à la repentance. La parole de Jésus agit, aujourd’hui, et en faveur de l’homme paralysé. Son premier relèvement s’inscrit d’abord dans une réconciliation offerte. Les actes miraculeux sont ainsi passés au second plan, n’étant que des signes de l’avènement du Royaume (4,22-30).
Ce pardon n’est pas relatif à un jugement moral ou de foi sur l’homme, mais à un regard sur ceux qui l’ont amené devant Jésus. Eux, ont jugé bon de faire venir celui-ci jusqu’à passer outre la foule, et les pharisiens. C’est donc à leur foi humble et déterminée que Jésus s’en remet, sans non plus les questionner.
Tes péchés te sont pardonnés dit Jésus à l’homme paralysé. Mais pardonnés par qui ? Par Jésus ou par un autre ? Bibliquement, la formulation passive sert, très souvent, à exprimer l’action de Dieu. Jésus ne pardonne pas de sa propre initiative. Sa parole exprime la volonté du Seigneur. Cependant, il semble que les scribes et pharisiens ne l’aient pas entendu ainsi.
Scribes et pharisiens (5,21-25)
5, 21 Les scribes et les pharisiens se mirent à raisonner : « Qui est-il celui-là ? Il dit des blasphèmes ! Qui donc peut pardonner les péchés, sinon Dieu seul ? » 22 Mais Jésus, saisissant leurs pensées, leur répondit : « Pourquoi ces pensées dans vos cœurs ? 23 Qu’est-ce qui est le plus facile ? Dire : “Tes péchés te sont pardonnés”, ou dire : “Lève-toi et marche” ? 24 Eh bien ! Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a autorité sur la terre pour pardonner les péchés, – Jésus s’adressa à celui qui était paralysé – je te le dis, lève-toi, prends ta civière et retourne dans ta maison. » 25 À l’instant même, celui-ci se releva devant eux, il prit ce qui lui servait de lit et s’en alla dans sa maison en rendant gloire à Dieu.
Qui peut pardonner les péchés ?
Malgré leur présence nombreuse, aucun scribe et pharisien n’exprime à Jésus, de manière explicite, leur désapprobation. Cette dernière reprend les termes de blasphème qui seront repris contre Jésus lors de la Passion (22,65 ;23,39). Le blasphème équivaut, ici, à une injure contre l’autorité et la personne de Dieu qui seul peut pardonner. Jésus est ainsi accusé, in petto, de s’opposer au dessein divin.
Dans le monde religieux juif, de ce premier siècle, le péché désigne l’acte qui enfreint la Loi de Moïse. Le péché rend l’homme impur et peut contaminer la pureté et la sainteté du peuple. Les pharisiens, étant très soucieux (voire scrupuleux) quant à la pureté et l’obéissance à la Loi de Moïse, sont donc très attentifs à la question du péché. L’homme pécheur contre la Loi était invité au repentir et à un sacrifice au Temple manifestant la réconciliation de Dieu, seul saint, pouvant pardonner. Aucun homme, fut-il grand-prêtre, susceptible d’être pécheur lui-même, ne peut s’arroger ce pouvoir – encore moins un faiseur de miracles, galiléen et itinérant.
Le Fils de l’homme
La réflexion des pharisiens et des scribes interroge donc l’autorité de Jésus. Ce n’est pas son enseignement qui est en cause, ni même ses miracles précédents, mais sa personne même. C’est à ce moment que Luc use, pour la première fois, du titre Fils de l’homme et l’associe à Jésus. L’expression est tirée du livre du prophète Daniel.
Dn 7, 13 Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui. 14 Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
Selon la vision de Daniel, ce Fils d’homme renvoie à un personnage envoyé par Dieu, auquel ce dernier a confié tout pouvoir, afin de juger le monde au temps dernier. Associée à Jésus, la figure du Fils d’Homme affirme ainsi l’avènement du temps du jugement révélé par l’action de Jésus. Ce pouvoir de jugement confié par Dieu s’exprime ainsi, et premièrement, par le pardon offert, et non par la condamnation. Ainsi s’opposent la pensée de ceux qui condamnent, à tort, Jésus et l’action miséricordieuse du juge eschatologique.
Du pardon à la guérison
La guérison sert ainsi à montrer le relèvement déjà obtenu : Lève-toi et marche et d’ajouter par la suite : prends ta civière et retourne dans ta maison. L’homme guéri doit partir, quitter les regards curieux tout en manifestant l’action du Seigneur dont il a bénéficié. Sa paralysie l’obligeait à la dépendance et limitait ses capacités relationnelles. Désormais, celui qui était allongé sur une civière, peut la porter et rejoindre debout, de lui-même, les siens, sa maison. Sa guérison ne manifeste pas seulement un miracle, elle devient le signe d’une réelle réconciliation. Il rendait gloire à Dieu. La maladie, le handicap, en ce premier siècle, étaient parfois considérés comme un abandon de Dieu, voire une malédiction. Ou pire, une telle situation pouvait inciter à maudire Dieu. Or, la parole de Jésus, tes péchés te sont pardonnés, manifeste au contraire combien, dans cet avènement du Règne, Dieu se révèle bon et juste, présent à ceux qui souffrent. Sa paralysie n’est plus le signe de son indignité, mais au contraire, l’objet du salut. Ainsi l’homme, hier paralytique et pécheur, debout, rend gloire à Dieu et manifester l’avènement du Règne de Dieu.
Ils rendaient gloire à Dieu (5,26)
5, 26 Tous furent saisis de stupeur et ils rendaient gloire à Dieu. Remplis de crainte, ils disaient : « Nous avons vu des choses extraordinaires aujourd’hui ! »
Aujourd’hui
Ces choses extraordinaires ne sont pas seulement liées à la guérison de l’homme paralysé. Le pluriel utilisé peut englober le pardon qu’il a reçu par le Fils de l’homme. Mais bien plus. Ces choses extraordinaires sont à rapporter à l’avènement de Dieu, en son messie Jésus (4,14-21). Ce n’est pas ce dernier qui est porté aux nues, mais celui qu’il sert. Stupeur et crainte expriment l’attitude du croyant face à Dieu et à son action. Ce règne de Dieu s’accomplit dans cet aujourd’hui du peuple.