Le repas nouveau de l’Époux (Lc 5,33-39)

Parallèles : Mt 9,14-17.18-26 | Mc 2,18-22

Les objections des pharisiens, à l’encontre de Jésus et ses disciples, se poursuivent. Le premier reproche concernait leur fréquentation des pécheurs. Cette fois, c’est leur piété qui est mise en cause.

Paolo Veronese, Le repas chez Lévi,1573

Les tiens mangent et boivent (5,33-35)

5, 33 Ils lui dirent alors : « Les disciples de Jean le Baptiste jeûnent souvent et font des prières ; de même ceux des pharisiens. Au contraire, les tiens mangent et boivent ! » 34 Jésus leur dit : « Pouvez-vous faire jeûner les invités de la noce, pendant que l’Époux est avec eux ? 35 Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors, en ces jours-là, ils jeûneront. »

Jeûne et prières

Ce passage se situe dans la continuité du repas de Lévi (5,27-32). Jésus affirmait combien ce festin était surtout l’occasion d’ouvrir le monde des publicains et des pécheurs à l’espérance du Royaume. Mais, est-ce là un véritable témoignage de foi ? Selon ces détracteurs, ce dernier se devrait d’être visible et explicite par le jeûne et la prière, à l’exemple des baptistes et des pharisiens. L’attitude de Jésus et des disciples, se fourvoyant dans un repas de pécheurs, leur paraît donc désinvolte et contraire à leur pratique. Bref, les disciples de Jésus devraient aussi montrer, en premier lieu, leur piété, au lieu de boire et manger comme ces pécheurs. Dans la conception habituelle, un « vrai » croyant se rapproche davantage de l’ascète que du ripailleur.

L’Époux de la noce

Une fois de plus (5,27-32), Jésus redéfinit ce repas. Il n’est pas, uniquement, un banquet fait en son honneur, une occasion de boire et manger. Ce repas fait signe des noces eschatologiques espérées par les prophètes. Le repas chez Lévi célèbre bien plus que la seule conversion de ce dernier : il honore la présence de l’Époux, Jésus-Christ, pour une nouvelle Alliance que suggère la nuptialité. Ainsi le prophète Isaïe annonçait l’avènement et le retour du Seigneur en ces termes :

Is 25, 6 Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. 7 Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations. […] 9 Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »

Et plus loin :

Is 62, 4 On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». 5 Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera. Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu.

C’est cette attente, enfin comblée en ces nouvelles noces de Dieu et son peuple, que célèbre ce festin. Mais ce jour de fête, jour de la présence du Seigneur au milieu d’eux, attend aussi des jours de jeûne lorsque l’Époux disparaîtra de leur vue. Ce verset peut évoquer les jours de la Passion comme ceux du temps postpascal après l’Ascension.

Paolo Veronese, Le repas chez Lévi (détail),1573

Vin nouveau, outres neuves (5,36-39)

5, 36 Il leur dit aussi en parabole : « Personne ne déchire un morceau à un vêtement neuf pour le coudre sur un vieux vêtement. Autrement, on aura déchiré le neuf, et le morceau qui vient du neuf ne s’accordera pas avec le vieux. 37 Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres ; autrement, le vin nouveau fera éclater les outres, il se répandra et les outres seront perdues.38 Mais on doit mettre le vin nouveau dans des outres neuves. 39 Jamais celui qui a bu du vin vieux ne désire du nouveau. Car il dit : “C’est le vieux qui est bon.” »

Le neuf et le vieux

Les deux paraboles mettent en opposition irréconciliable le vieux et le neuf que ce soit pour un vêtement ou pour le vin. Dans le contexte du repas de Lévi, et de la mention précédente de la noce, ces deux éléments, vin et vêtement, ne sont pas choisis au hasard. Ils rappellent la grande réception et les noces de l’Époux. Vêtement neuf et vin nouveau célèbrent la nouveauté de l’alliance advenu en Jésus. A cette fête convient un vêtement neuf et un vin nouveau. Et une attitude nouvelle : la réjouissance d’être auprès de l’Époux. La noce eschatologique appelle à un renouveau total et non pas à un petit rapiéçage. De même ce nouveau vin de l’avènement du Royaume (4,43) exige de se débarrasser des vieilles outres.

Mauvais vin vieux ?

Luc est le seul à ajouter ce verset : Jamais celui qui a bu du vin vieux ne désire du nouveau. Car il dit : “C’est le vieux qui est bon.” Cela pourrait s’assimiler à la sagesse d’un bon œnologue, du moins de notre époque. Car, les vins de garde représentent une production récente. Au premier siècle, en ce bassin méditerranéen, les vins vieillissent souvent mal. Il n’existe, d’ailleurs, que très peu de lieu et de moyens pour les conserver.

La remarque de Luc est donc à considérer comme un reproche à l’encontre des pharisiens. Agrippés à leurs vieilles outres, ils refusent un vin nouveau qu’ils ne désirent nullement goûter. Autrement dit, ils se refusent à la nouveauté, certes subversive, du Christ, trônant à la table des pécheurs. Luc oppose ainsi les pharisiens attachés, à juste titre, à la Loi et Jésus qui en propose une interprétation, sinon nouvelle, du moins novatrice. C’est ce que les récits suivants (6,1-11) illustreront à propos du sabbat.

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