Parallèles : Mt 14,1-2 | Mc 6,14-16
Luc semble ouvrir une parenthèse, ou plutôt insère l’interrogation d’Hérode au sein de la mission des Douze, entre leur départ (9,6) et leur retour (9,10). Et cela n’est pas anodin.
Il ne savait que penser (9,7-9)
9, 7 Hérode, qui était au pouvoir en Galilée, entendit parler de tout ce qui se passait et il ne savait que penser. En effet, certains disaient que Jean le Baptiste était ressuscité d’entre les morts. 8 D’autres disaient : « C’est le prophète Élie qui est apparu. » D’autres encore : « C’est un prophète d’autrefois qui est ressuscité. » 9 Quant à Hérode, il disait : « Jean, je l’ai fait décapiter. Mais qui est cet homme dont j’entends dire de telles choses ? » Et il cherchait à le voir.
Pouvoir du prince et règne de Dieu
L’épisode vient en contraste avec l’envoi des Douze, précédent. Les Apôtres ont reçu de Jésus, pouvoir et autorité, sur tous les démons et faire des guérisons (9,1), mais allant dans le dénuement. Or, voici que nous est présenté le riche prince hasmonéen exerçant son pouvoir en Galilée. Si Jésus a envoyé les Douze pour annoncer la Bonne Nouvelle, Hérode entend la (mauvaise ?) rumeur qui l’interroge. Luc fait ainsi se confronter le pouvoir princier à celui de l’évangile, le roi face au règne. La réponse sur la décapitation de Jean renvoie à ce même pouvoir du prince Galiléen sur les hommes. À celui qui donne la mort (Jean le baptiste), s’oppose celui redonne vie (le jeune homme de Naïm 7,11-17 ; la fille de Jaïre 8,40-56).
Le passage permet ainsi d’identifier Jésus à la Bonne Nouvelle. La rumeur concerne effectivement tout ce qui se passait – et qui peut se rapporter à bien des événements – mais ces choses-là nous renvoient à la personne même de Jésus, cet homme dont il a entendu dire de telles choses. Hérode s’interroge donc sur les prétentions possibles de Jésus.
Les Douze, Jean et Élie
La proximité de la mission des Douze avec cet épisode n’est pas anodine. Jésus envoie douze apôtres, au nombre des tribus d’Israël. Du point de vue d’Hérode, ce geste peut apparaître éminemment politique, signe d’un désir de conquête mettant en danger son pouvoir.
Mais plus encore, l’évocation de Jean le baptiste et d’Élie, prophètes annonçant le règne de Dieu, montre que le questionnement du prince Galiléen est bouleversé par ce possible avènement qui pourrait avoir, également, quelques répercutions pour son règne. La mise à mort du baptiste n’a pas suffi à arrêter l’avènement de la Bonne Nouvelle. Or, si Hérode a mis fin au ministère du baptiste, pourra-t-il mettre fin à la marche de cet homme dont ne sait s’il est un prophète ou Élie redivivus, c’est-à-dire l’annonciateur du temps messianique.
Il cherchait à le voir
C’est en ce sens que le récit pose la question, une fois encore, de l’identité de Jésus. Hérode cherchait à le voir : mais pour quelles raisons ? Rien ne nous en est dit de manière explicite. La suite nous apprendra que ce désir n’est pas forcément motivé par des intentions louables, comme l’indiqueront des pharisiens à Jésus : 13,31 Hérode veut te tuer ; et, de même, la comparution de Jésus devant ce dernier : 23,11 Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui. Nous aurons l’occasion d’y revenir. À ce moment du récit, Luc laisse Hérode dans l’incompréhension sur l’avènement du règne et l’identité et la prétention de cet homme qu’il ne définit par aucun titre, ni aucun nom. Jésus échappe à sa compréhension.
Cependant, le contexte peut nous aider à deviner certaines de ses intentions. Le rappel de la mort du baptiste donne au contexte une note dramatique. D’autant plus que l’évangéliste, contrairement à Marc, ne relate pas l’épisode d’Hérodiade, et souligne l’entière responsabilité d’Hérode dans l’exécution : Jean, je l’ai fait décapiter. Comme si Hérode s’interrogeait sur la dangerosité de Jésus et de l’annonce du règne, se propageant sur son territoire.
Qui est cet homme ? La question va trouver un éclairage supplémentaire, du moins pour le lecteur, avec la multiplication des pains (9,10-17) qui précède également l’interrogation de Jésus à ses disciples : pour vous qui suis-je ? (9,18-27)