Parallèle : Mt 8,18-22
13ème dim. ord. (C)
Quatre petits épisodes composent ce passage, poursuivant la quête de l’identité du disciple (9,46-50). Dans une première partie, les Apôtres Jacques et Jean fustigent un village de Samarie (9,51-55) puis dans la seconde partie (9,52-62), sur le chemin qui le mène à Jérusalem, Jésus rencontre trois candidats disciples.
1ère partie : Jacques, Jean et la Samarie (9,51-55)
9, 51 Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. 52 Il envoya, en avant de lui, des messagers ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. 53 Mais on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. 54 Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions qu’un feu tombe du ciel et les détruise ? » 55 Mais Jésus, se retournant, les réprimanda.
Vers Jérusalem… enlevé au Ciel ?
Cette mention de Luc nous frappe d’emblée: Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel. Le texte grec ne mentionne pas explicitement la destination du ciel. Cela d’ailleurs ne facilite guère la compréhension : à quelle élévation Luc fait-il référence ? Est-ce seulement sa future ascension auprès du Père à la Résurrection ? Dès lors, n’est-ce pas trop tôt pour l’annoncer ? Le contexte du récit nous aide à ce propos. La mention de son enlèvement est éclairée par celle de Jérusalem. Jésus, le visage déterminé, prit la route de Jérusalem. Cette section du chapitre 9 de l’évangile selon Saint Luc ouvre la partie centrale de son œuvre qu’est ce long chemin qui mène Jésus à Jérusalem (Lc 19,28 s.) où il vivra sa Passion (Lc 22,1 s.)
Cette élévation nous amène donc d’abord à Jérusalem avant d’atteindre le ciel. D’autant que précédemment, lors de la Transfiguration, Jésus débattait avec Moïse et Élie de son départ, littéralement de son exode à Jérusalem (9,31). Celui-ci est mon Fils : écoutez-le ! tel était le message délivré lors de cet épisode (9,35). Ce chemin sera donc plus qu’un itinéraire géographique, car il comporte une dimension spirituelle et théologique. En marchant vers Jérusalem, avec ses disciples, Jésus accomplit et inaugure un temps nouveau, celui où se révèle déjà le règne de Dieu, comme nous l’avait esquissé l’épisode précédent de la multiplication des pains (9,11-17).
La Samarie
Jésus envoie des messagers en avant de lui, comme Moïse envoyait des éclaireurs en Canaan (Nb 13). Cet épisode du livre des Nombres introduit également la plus grande contestation contre Moïse ; le peuple craignant d’affronter les Cananéens. Pour aller à Jérusalem, la route la plus courte passe par le pays des Samaritains, dont les relations avec les Juifs sont plutôt tendues. Mais étonnamment, le refus de l’hospitalité n’est pas motivé par un critère de haine religieuse ou ethnique mais par un motif théologal, plus précisément christologique : on refusa de le recevoir, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Ce n’est pas un groupe de Juifs qu’on refuse d’accueillir mais Jésus marchant vers sa passion. L’épisode annonce déjà la suite : le Christ crucifié rejeté. Dès lors la marche vers Jérusalem devient une marche qui va éclairer les disciples au sens salutaire de Pâques, à la lumière de la miséricorde du Père.
Le reproche n’est pas destiné à la Samarie en soi. Les Samaritains ne sont pas maudits. D’ailleurs, au prochain chapitre, une parabole mettra en scène un bon Samaritain (Lc 10,30-37). La Samarie sera aussi, dans l’œuvre de Luc, la première région non-juive à accueillir l’Évangile du Ressuscité après l’expulsion des disciples de Jérusalem (Ac 8). Le récit ne condamne donc pas les Samaritains mais l’attitude des Apôtres.
Jacques et Jean, prompts à condamner
Jacques et Jean ont cette réaction épidermique, cette émotivité dangereuse qui les éloigne de l’Évangile. Le temps de Dieu n’est pas calqué au désir des croyants. Ceux qui se font rabrouer dans cette histoire sont ces disciples plus prompts à condamner qu’à espérer. Ils souhaitent que le feu descende du ciel : « preuve » visible de la divine condamnation, alors que le Seigneur monte vers Jérusalem et sa Croix, signe probant de la divine rédemption. Car être disciple c’est vivre au pas de Jésus comme il leur avait annoncé : 9,23 Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive.
Dès lors, suivre Jésus exige un renoncement radical, et pas seulement en termes de biens, de richesse ou de pouvoir, comme vont nous le montrer les trois candidats suivants :
2ème partie : « Je te suivrai » (9,56-63)
9, 56 Puis ils partirent pour un autre village. 57 En cours de route, un homme dit à Jésus : « Je te suivrai partout où tu iras. » 58 Jésus lui déclara : « Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête. » 59 Il dit à un autre : « Suis-moi. » L’homme répondit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père. » 60 Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, pars, et annonce le règne de Dieu. » 61 Un autre encore lui dit : « Je te suivrai, Seigneur ; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. » 62 Jésus lui répondit : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. »
Trois rencontres, trois conversions
Mis bout à bout ces trois petits épisodes forment une unité soulignant la condition de disciple ; le verbe suivre y est répété trois fois dans trois situations qui mettent à l’épreuve les postulants autour de trois renoncements qui concernent la vie domestique : ne pas avoir de maison, ne pas enterrer son père, ne pas faire ses adieux … Rien de réjouissant. Les paroles de Jésus peuvent paraître, aujourd’hui, sans pitié envers la vie familiale et domestique. Il s’agit ici non de dresser une liste de choix, ou d’établir un ordre de préférence entre Jésus et sa famille. Jésus ici habille le prétendant disciple d’une nouvelle identité. Ces trois épisodes ne sont pas sans rappeler la vocation d’Élisée, devant abandonner son travail, sa famille et ses serviteurs pour suivre le prophète Élie (1R 19,19). Mais dans ces récits de Luc, l’appel semble exigeant.
Je te suivrai partout où tu iras
Je te suivrai partout où tu iras. Mais où Jésus va-t-il ? L’épisode précédent évoquait à la fois la Samarie et la Croix. L’Évangile demande à franchir des frontières inenvisageables depuis la Samarie jusqu’au monde païen et jusque dans la confrontation comme le souligne la mention du Fils de l’Homme qui sera livré aux mains des hommes (9,45). Ce n’est pas tant la vie nomade ou itinérante du disciple qui est promue que sa vie donnée pour servir le Règne de Dieu. L’Évangile est en cela victorieux qu’il ne craint aucune frontière.
Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père
Laisse les morts enterrer leurs morts… La parole de Jésus rapportée par Luc devait encore plus choquer les oreilles dans cette antiquité où enterrer son père était un devoir religieux et majeur. Jésus met-il fin à une pratique culturelle, domestique et religieuse ? N’a-t-il donc aucune pitié ? Ce que le récit met ici en lumière, c’est l’annonce du Règne de Dieu. Laisser les morts enterrer les morts, c’est vouloir donner la priorité à l’annonce du règne de Dieu sur le culte des morts, très présent dans l’Antiquité gréco-romaine. La victoire de Dieu sur la mort que révélera le tombeau vide et la manifestation du Christ ressuscité aux disciples (Lc 24) donneront à voir cette Espérance inaugurée par le Règne de Dieu.
Laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison.
Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu. Le refus de Jésus de concilier adieux aux siens et le suivre pour le Royaume apparaît insolite. L’urgence est-elle à ce point qu’aucun adieu soit possible ? D’autant que la mention de la charrue et d’un appel à suivre un maître évoque la vocation d’Élisée par le prophète Élie :
1R 19 19 Élie s’en alla. Il trouva Élisée, fils de Shafath, en train de labourer. Il avait à labourer douze arpents, et il en était au douzième. Élie passa près de lui et jeta vers lui son manteau. 20 Alors Élisée quitta ses bœufs, courut derrière Élie, et lui dit : « Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis je te suivrai. » Élie répondit : « Va-t’en, retourne là-bas ! Je n’ai rien fait. » 21 Alors Élisée s’en retourna ; mais il prit la paire de bœufs pour les immoler, les fit cuire avec le bois de l’attelage, et les donna à manger aux gens. Puis il se leva, partit à la suite d’Élie et se mit à son service.
Malgré le reproche d’Élie, Élisée a pris le temps de dire adieux aux siens avant de se mettre à la suite du prophète. Mais l’on entend bien que, même pour Élie, cette attitude de son futur jeune apprenti ne convient pas. Ce n’est pas tant l’urgence temporel qui presse, mais l’écoute et l’obéissance à la Parole de Dieu, ici à travers le prophète. La Parole de Dieu ne souffre d’aucune compromission. Outre Élisée, le récit évoque également l’épisode plus dramatique de la femme de Loth qui lors de la destruction de Sodome avait regardé en arrière, et elle était devenue une colonne de sel (Gn 19,26). Négligeant la parole de Dieu, la femme de Loth subissait son propre châtiment. Car l’écoute de la Parole de Dieu tourne le disciple vers la vie et vers l’avenir.
De la terre au Règne
Malgré le reproche d’Élie, Élisée a pris le temps de dire adieux aux siens avant de se mettre à la suite du prophète. Mais l’on entend bien que, même pour Élie, l’attitude de son futur jeune apprenti ne convient pas. Ce n’est pas tant l’urgence temporel qui presse, mais l’écoute et l’obéissance à la Parole de Dieu, ici à travers le prophète. La Parole de Dieu ne souffre d’aucune compromission. Outre Élisée, le récit évoque, également, l’épisode plus dramatique de la femme de Loth qui lors de la destruction de Sodome avait regardé en arrière, et elle était devenue une colonne de sel (Gn 19,26). Négligeant la parole de Dieu, la femme de Loth subissait son propre châtiment. Car l’écoute de la Parole de Dieu tourne le disciple vers la vie et vers l’avenir, sans nostalgie d’un passé.
De la terre au Règne
Dans chacune de ces rencontres, Luc dresse un mouvement dynamique et vertical. Depuis les terriers enfouis des renards jusqu’aux nids célestes des oiseaux ; depuis les sépultures, lieux de la mort, jusqu’au ciel du règne Dieu, lieu de vie éternelle ; depuis les labours mondains jusqu’au royaume de Dieu, royaume du salut, le disciple est celui qui rencontre Jésus Christ et qui, se mettant à l’écoute de sa Parole, est invité à bouleverser radicalement sa vie pour se mettre, au cœur du monde, dans l’en-avant du règne de Dieu.