Parallèles : Mt 19,13-15 | Mc 10,13-16
Après la parabole de la veuve et du juge, puis celle du publicain et du pharisien, le récit de Luc donne place maintenant aux enfants, donnés en exemple pour l’accueil du règne de Dieu.
Laissez les enfants venir à moi (18,15-17)
18, 15 Des gens présentaient à Jésus même les nourrissons, afin qu’il pose la main sur eux. En voyant cela, les disciples les écartaient vivement.16 Mais Jésus les fit venir à lui en disant : « Laissez les enfants venir à moi, et ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. 17 Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. »
Les disciples les écartaient vivement
Nous pouvons nous étonner de la réaction des disciples qui s’opposent à ces gens venant avec leurs nourrissons, au point de les écarter vivement. Le texte grec est plus violent encore en usant du verbe épitimaô (ἐπιτιμάω) signifiant repousser, menacer, rabrouer. Un verbe utilisé notamment dans le cadre d’exorcisme lorsque Jésus menace les esprits mauvais. Pourquoi une telle opposition frontale ? La réaction des disciples est liée à la demande des parents pour leurs enfants : afin qu’il pose la main sur eux, ou plus littéralement, afin qu’il les touche. Le verbe toucher (aptô, ἅπτω) est, très majoritairement, utilisé par Luc pour décrire un geste lié à une guérison (5,13 ; 6,19 ;7,14 ; 8,44-47; 22,51)1. Si Luc avait voulu signifier une bénédiction, il aurait usé du verbe bénir (εὐλογέω, eulogéô), lui-même nullement lié au geste du toucher. Dans Luc, une seule fois (24,50.51), Jésus bénit, en l’occurrence ses disciples, en levant les mains, et non en les imposant.
Le texte de Luc suggère donc des gens, les parents, venant auprès de Jésus pour un geste de guérison, ou de protection. Il faut rappeler combien la mortalité infantile était très forte en cette époque, pouvant atteindre 1 enfant sur 52. On comprend donc le souci des parents d’une protection divine ou ou de type superstitieuse. Est-ce ce dernier point qui suscite la réaction vive des disciples, refusant qu’on use de Jésus à des fins de superstitions ? Si Luc nous permet de deviner les intentions des parents, il ne nous dit rien de ce qui motive les disciples. Le texte incite davantage sur le fait qu’ils empêchent ces parents de venir à Jésus.
Laissez les enfants
La réaction de Jésus souligne un déplacement. Les disciples écartaient les parents et Jésus leur demande de laisser venir à lui les enfants. Narrativement, les parents sont omis. Les enfants deviennent le sujet principal. Jésus ne les désigne pas seulement comme des nouveau-nés (en grec bréphos, βρέφος), l’âge le plus fragile qu’il soit, mais comme des petits enfants (paidion, παιδίον) signifiant leur avenir et leur présence bénéfique dans cet avènement du règne de Dieu. De même, il n’est fait mention d’aucun geste de Jésus. Il ne répond pas ainsi à la manière attendue des disciples, ni des parents.
C’est un schéma déjà rencontré : peu importe les motifs premiers pour venir à Jésus, c’est sa rencontre qui importe et sera déterminante. Ainsi la demande de Simon-Pierre pour sa belle-mère qui, guérie, se met à les servir (4,38-44), le paralytique pardonné (5,17-32) ou la femme hémorroïsse venue pour toucher juste une frange de son vêtement (8,40-56). Rien ne doit empêcher la rencontre (9,50 ; 11,52) : ni la légèreté des motivations des parents, ni la rigidité des disciples. Ainsi Jésus renvoie l’attente des parents et l’attitude des disciples à la question du règne de Dieu.
Le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemble
On l’entend bien, la pointe principale du récit porte sur l’accueil du royaume de Dieu (ou du règne cf. 13,18-21). Cela nous rappelle une précédente allusion qui mettait en exergue l’importance de l’accueil des petits :
9,48 Celui qui accueille en mon nom cet enfant, il m’accueille, moi. Et celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé. En effet, le plus petit d’entre vous tous, c’est celui-là qui est grand.
De manière différente, ici, la comparaison porte sur le royaume de Dieu : le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. 17 Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas
Dans un premier temps, nous pouvons noter le rapprochement entre Jésus et le royaume : en venant vers lui, ces enfants – comme ceux qui leur ressemblent – ont part au royaume de Dieu. Jésus est associé intimement au royaume de Dieu : venir vers lui, c’est accueillir le royaume. L’accueillir comme un enfant l’accueille, c’est y entrer. Invitation est donc faite à accueillir le Royaume révélé par Jésus, à l’image de ces enfants. Mais de quelle sorte ?
Le texte n’est pas explicite, mais il nous renvoie à l’attitude des parents et des disciples. Contrairement à ces derniers, ces enfants sont ceux qui ne réclament rien et n’empêchent personne : ils sont vraiment fragiles et petits. Ils représentent cette humilité qui refuse toute mainmise et toute gratification, du fait qu’ils n’en ont pas les moyens. Il ne s’agit pas seulement d’accueillir avec bienveillance ces petits, il convient pour entrer dans le royaume de Dieu, d’être comme eux, comme des enfants ayant tout à recevoir. Cela demande aux disciples, à qui Jésus s’adresse, un certain esprit d’abandon, comme il sera demandé avec l’épisode suivant de l’homme riche.
- Une autre fois (7,39) le verbe toucher (ἅπτω, aptô) est utilisé pour la femme pécheresse chez Simon. A trois autres endroits, il prend le sens d’allumer une lampe (8,16 ;11,33 ;15 ;8) ↩︎
- Beaucoup estime que la moitié des enfants n’atteignait pas l’âge de 10 ans, Données tirées du site http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/demograph.htm ↩︎