Parallèles : Mt 22,41-46 | Mc 12,35-37 | (Jn 7,40-42)
La réponse aux sadducéens fait place maintenant à la question de Jésus sur la figure du Messie, destinée aux scribes qui le félicitent.
Certains scribes (20,39-40)
20, 39 Alors certains scribes prirent la parole pour dire : « Maître, tu as bien parlé. » 40 Et ils n’osaient plus l’interroger sur quoi que ce soit.
Tu as bien parlé
Parmi les scribes présents lors de ce débat au Temple (20,1), certains complimentent le maître pour son raisonnement. Il a répondu et argumenté en faisant appel à la Loi, à la manière des scribes. Jésus n’a pas fait l’unanimité parmi ses détracteurs, mais certains sont plus à même de reconnaître l’autorité de sa parole, mise en cause dès la première confrontation (20,1). Le silence des scribes : ils n’osaient plus l’interroger sur quoi que ce soit, met fin aux controverses au Temple, entre Jésus et ses opposants. La fin des débats ne sera pas pour autant la fin de l’inimitié des grands-prêtres, scribes et anciens qui chercheront encore à le supprimer (22,1).
Cependant, pour ces épisodes se déroulant au Temple, Luc laisse le dernier mot à Jésus qui à son tour interroge les scribes.
Christ et fils de David (20,41-44)
20, 41 Jésus leur demanda : « Comment peut-on dire que le Christ est fils de David ? 42 David lui-même dit, en effet, dans le livre des Psaumes : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite 43 jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis comme un escabeau sous tes pieds. 44 David l’appelle donc Seigneur : comment peut-il être son fils ? »
Comment peut-on dire ?
Jésus s’adresse à des scribes (ou légistes), spécialistes de la Loi et des Écritures en imitant leur style. Son intervention est composée d’une première question : Comment peut-on dire que le Christ est fils de David ? suivie d’un argument tiré de l’écriture (Ps 109/110,1) permettant de reformuler la question : David l’appelle donc Seigneur : comment peut-il être son fils ?
Que comprendre de cette question ? Jésus contredirait-il l’appartenance du Messie (ou Christ) à la descendance davidique ? L’évangéliste, lors des récits d’annonciation, comme dans sa généalogie de Jésus (3,31 …fils de Natham, fils de David), ne pourrait se dédire. L’ange dit à Marie : 1,32 le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. Dès lors que comprendre de cette question ?
Jésus pose ici la question du comment (pôs, πῶς), c’est-à-dire, de la manière dont s’accorde le titre de Christ (v.41) ou Seigneur (v.44) avec une autre dénomination messianique : fils de David.
Messie et roi ?
À la première question : comment peut-on dire ? Jésus associe la figure du Messie à la filiation davidique. Il reprend ici la traditionnelle conception du Messie-Roi, fils de David. Celle-ci tient à l’Alliance de Dieu conclue avec David, lui promettant de voir sa descendance régner à jamais : 2S 7,16 Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours. Promesse qui tient sa réalisation dans la parole de l’ange à Marie : 1, 32 … le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; 33 il régnera pour toujours sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin.
Cependant ici, la question de Jésus ne sert pas la révélation de sa personne en tant que Messie. L’interrogation, destinée aux scribes, est générale et ne leur permet aucune identification précise. Jésus pointe la qualité royale du Messie qui, selon les conceptions de l’époque, viendra prendre sa place sur le trône de Jérusalem après avoir vaincu ses ennemis. La question que pose Jésus porte sur la manière de concevoir la royauté du Messie. Et pour éclairer sa question, Jésus, reconnu précédemment pour être un bon interprète de l’Écriture, s’appuie sur un psaume attribué au roi David.
Le Seigneur dit à mon Seigneur
Le psaume 109/110 est un chant sur la glorification et la victoire du roi-messie de Dieu, siégeant à sa droite afin de vaincre les ennemis. Le psaume présente un caractère eschatologique. Le messie-roi est associé à la figure du roi-prêtre Melkisédek (v.4) qui, glorifié, vient juger les nations (v.6). Cependant, Luc ne cite que le premier verset du psaume 109/110 dans sa version grecque. Celui-ci établit une relation de Seigneur à Seigneur entre Dieu et le Messie, issu de sa descendance.
Le verset du psaume permet de situer autrement le Messie que dans un unique héritage royal et politique. Dans l’interprétation qu’en donne Luc, David reconnaît en ce Messie-roi et fils-successeur : mon Seigneur. Une telle désignation rend compte d’une subordination de David, figure excellemment royale, à ce Christ attendu. Dans la conception antique, le fils est toujours situé en dépendance du père, d’autant plus si ce dernier est un roi héroïque. Or ici, la royauté de David se soumet à une autre royauté, davantage eschatologique comme le laisse entendre l’ensemble du psaume. Si Christ est fils de David, et son Seigneur, ce sera d’une autre manière qu’une royauté politique et territoriale.
Christ et Seigneur
La seigneurie du Christ tient donc à un autre aspect. La question de Jésus vient après le débat sur la résurrection des morts, mettant en exergue une dimension eschatologique : 20,38 Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. La figure du Messie-Seigneur, glorifié par Dieu, appartient à cette visée. Comme la résurrection des morts a été redéfinie, ainsi en est-il de la venue du Christ laquelle sera encore développée avec le discours sur la fin des temps (21,5-38). Le Christ, fils de David, sera roi mais sa royauté sera autre que celle de son père. Jésus n’en dit pas plus. Le lecteur sera amené à entendre et contempler cette autre royauté annoncée et à entendre ce propos dans son acception postpascale.
Nous pouvons nous étonner de l’absence de réaction ou de réponse de la part des scribes. Mais, comme l’a indiqué le début de ce passage, ceux-ci ne peuvent plus rien opposer, rhétoriquement, à la parole de Jésus. De plus, ces scribes en lien avec les grands-prêtres et sadducéens, sont moins sensibles que les pharisiens et le peuple à l’attente messianique. Cependant, l’absence de réponse des scribes sera aussi motivée par la suite du récit montrant leur préférence pour les richesses et les honneurs que pour les débats théologiques et la charité. Leur compliment : 20,39 Maître, tu as bien parlé, n’aurait-il été que flatterie ?