Parallèles : Mt 24,15-51 | Mc 13,24-37
1er dim. de l’Avent (C) Lc 21,25-28.34-36
Au sein du Temple, Jésus a annoncé la ruine du sanctuaire (21,5-19). Dans la suite de ce discours, la destruction de Jérusalem est maintenant évoquée. Cependant, Jésus distingue ce drame de l’avènement du Fils de l’homme.
L’ensemble de ces versets (21,20-38) représente les deux sections suivantes du discours : II – La manifestation du Fils de l’homme (21,20-27) et l’appel à la vigilance (21,28-36).
Jérusalem foulée aux pieds (21,20-24)
21, 20 Quand vous verrez Jérusalem encerclée par des armées, alors sachez que sa dévastation approche. 21 Alors, ceux qui seront en Judée, qu’ils s’enfuient dans les montagnes ; ceux qui seront à l’intérieur de la ville, qu’ils s’en éloignent ; ceux qui seront à la campagne, qu’ils ne rentrent pas en ville, 22 car ce seront des jours où justice sera faite pour que soit accomplie toute l’Écriture. 23 Quel malheur pour les femmes qui seront enceintes et celles qui allaiteront en ces jours-là, car il y aura un grand désarroi dans le pays, une grande colère contre ce peuple. 24 Ils tomberont sous le tranchant de l’épée, ils seront emmenés en captivité dans toutes les nations ; Jérusalem sera foulée aux pieds par des païens, jusqu’à ce que leur temps soit accompli.
Jérusalem encerclée
L’évangile nous a déjà fait entendre cette annonce de la fin de Jérusalem, lors de l’entrée de Jésus dans la ville :
19, 43 tes ennemis construiront des ouvrages de siège contre toi, t’encercleront et te presseront de tous côtés ; 44 ils t’anéantiront, toi et tes enfants qui sont chez toi, et ils ne laisseront pas chez toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait.
Comme exprimé précédemment, Luc fait référence à la prise et au sac de Jérusalem en septembre 70, après six mois de siège par les armées romaines conduites par Titus. La chute de la ville eut lieu au cours de la première révolte juive entre 66 et 73, assurée par les groupes juifs zélotes. Durant le siège, beaucoup de Jérusalémites, notamment des femmes et des enfants, périrent en raison de la famine. Luc rappelle ce grand désarroi pour les juifs comme pour les judéo-chrétiens, qui fit de nombreuses victimes. L’évangéliste fait mémoire de cet événement très récent – on considère qu’il écrivit son évangile aux alentours de l’an 80 – et considéré, dans le judaïsme, comme un véritable drame depuis la prise de la ville par l’empire babylonien (587-597 av. J.-C.)
Pour que soit accomplie toute l’Écriture
Contrairement à l’évocation de la chute du Temple (21,5-7), Luc semble faire un lien entre le sac de la ville et le dessein de Dieu : ce seront des jours où justice sera faite pour que soit accomplie toute l’Écriture. Mais de quel ordre est ce lien ? La fin de Jérusalem est perçue par Luc comme un châtiment divin. Cependant, le texte distingue la ville de ses habitants. Jésus invite ces derniers à quitter la cité, s’enfuir dans les montagnes, s’en éloigner. La parole équivaut d’abord à une mise en garde, tout en soulignant le caractère irrémédiable de la sanction sur la ville. Mais cette destruction est aussi associée aux Écritures. Luc ne précise aucun passage particulier. Au contraire, il fait appel à tout ce qui a été écrit ce qui équivaut à associer la ruine de la ville au plan de salut de Dieu.
Cependant, et cela peut nous éclairer, l’évangéliste puise dans le vocabulaire prophétique, notamment des livres de Michée et de Zacharie :
- Mi 4, 11 Maintenant se sont rassemblées contre toi des nations nombreuses, et elles disent : « Qu’on profane Sion ! Que nos yeux se repaissent d’un tel spectacle ! »
- Za 12, 2 Voici que moi je vais faire de Jérusalem une coupe de vertige pour tous les peuples d’alentour. De même en sera-t-il de Juda lors du siège de Jérusalem. 3 Il arrivera, en ce jour-là, que je ferai de Jérusalem, face à tous les peuples, une pierre impossible à soulever. Quiconque voudra la soulever se blessera grièvement. Contre elle vont se coaliser toutes les nations de la terre.
Comme ces prophètes, Luc, s’appuyant désormais sur le drame historique, oppose Jérusalem aux nations païennes. En évoquant ces jours où justice sera faite, Luc fait de l’événement les prémices du Jugement à venir et dont les Nations ne sont que l’instrument de Dieu. Luc renvoie le Jugement final à l’action même de Dieu contre l’injustice que représente la ville.
Luc et Jérusalem
Jérusalem est, chez Luc, identifiée au pouvoir religieux et politique, incapable d’accueillir la Parole de Dieu : 13,34 Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants. Et, de nombreuses fois, la ville est associée à la Passion de Jésus et la surdité des élites (9,31.51 ; 18,31). La chute de Jérusalem manifeste donc, non pas la volonté divine de détruire la ville, mais l’abandon de Dieu envers ceux qui n’ont pas su écouter sa Parole. Luc l’avait précédemment indiqué : 19 44 ils t’anéantiront, toi et tes enfants qui sont chez toi, et ils ne laisseront pas chez toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait. Pour le dire autrement : pour Luc, Dieu a choisi son camp.
Mais si ce camp n’est pas celui de l’élite jérusalémite, il n’est pas, non plus celui des nations païennes dont le temps est aussi soumis à la justice divine. Ainsi, selon les paroles de Jésus, la victoire des païens sur la ville ne marque pas le début du Jugement divin. Leur victoire est passagère : jusqu’à ce que leur temps soit accompli. La chute de Jérusalem n’est pas la fin des temps.
Le Fils de l’homme dans une nuée (21,25-27)
21, 25 Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. 26 Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. 27 Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire.
Il y aura des signes
Comme pour la section précédente, l’avènement du Jour Dernier est associé à un bouleversement cosmique : signes dans le soleil, lune et étoiles et affolement des nations. Une fois encore, Luc emprunte au langage apocalyptique et symbolique. Il ne s’agit pas de décrire des phénomènes à venir, de montrer combien le Jugement final n’est pas déterminé par un calendrier, ni par quelques événements terrestres. Il implique toute la création d’une manière imprévisible et irreprésentable. Ce jour-là viendra à l’improviste (19,34).
Par la suite, Luc fera allusion à ce bouleversement cosmique, lors de la mort de Jésus, qui, ainsi, manifeste cette présence paradoxalement victorieuse du Fils de l’homme : 23, 44 C’était déjà environ la sixième heure; l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure.
L’avènement du Fils de l’homme sera donc inattendu. Luc ne s’attarde pas sur le merveilleux ou des phénomènes extraordinaires qui pourraient accompagner sa venue, ni même sur son action. Sobrement, il indique que celui-ci vient dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Cette expression rend compte de son autorité divine, mais ne dit rien de la manière dont elle va s’exercer.
Voyez le figuier (21,28-33)
21, 28 Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. » 29 Et il leur dit cette parabole : « Voyez le figuier et tous les autres arbres. 30 Regardez-les : dès qu’ils bourgeonnent, vous savez que l’été est tout proche. 31 De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le royaume de Dieu est proche. 32 Amen, je vous le dis : cette génération ne passera pas sans que tout cela n’arrive. 33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
Votre rédemption approche
A quels événements Luc fait-il référence ? Dans ce contexte, il ne peut s’agir ni de la ruine du Temple, ni du sac de Jérusalem. Ces (littéralement) choses qui commenceront par advenir, correspondent à l’avènement du Fils de l’homme décrit, sobrement, plus haut. Ainsi, le Jugement final n’est pas un temps de catastrophes, de drames, de violence ou de vengeance, mais un temps de salut et de rédemption. L’image du figuier oblige à regarder les signes positifs de l’avènement du Règne : le bourgeonnement des fleurs et la proximité de l’été. Le vocabulaire est à l’opposé des images funestes liées à chute de Jérusalem et du Temple. Bien plus, le discours de Jésus ne renvoie pas seulement à des lendemains salutaires, mais aussi à un aujourd’hui : cette génération ne passera pas sans que tout cela n’arrive. Or ce qui advient, cet avènement du Fils de l’homme et la délivrance promise sont, déjà, à l’œuvre avec le Christ, sa Passion et la promesse de sa présence au milieu des épreuves (21,15).
Reste éveillez (21,34-36)
21, 34 Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste 35 comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. 36 Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »
Que votre cœur ne s’alourdisse
Malgré les épreuves (21,12-19) et les drames (21,20-24), Jésus invite ses disciples à tenir dans la fidélité au Fils de l’homme, jusqu’à cet avènement qui impliquera alors toute la création, tous les habitants de la terre entière. Le discours met en garde les disciples, et les communautés chrétiennes, contre tout oubli de la Bonne Nouvelle et de son accomplissement à la fin des temps. Luc désigne ce manquement à partir de trois termes beuverie (kraipalè, κραιπάλη) – qu’on pourrait traduire par gueule-de-bois – , ivresse (méthè, μέθη) et souci de la vie (mérimna, μέριμνα : tracas ou inquiétude). Il ne s’agit pas, ici, de pointer trois types d’inconduite, mais de désigner une attitude générale qu’est cette lourdeur du cœur correspondant à une fatigue (9,32), ou, pour ici, une absence de vigilance. Ainsi, l’éveil et la prière des communautés chrétiennes, notamment dans des temps d’épreuves, représentent cette nécessaire persévérance dans la fidélité au Fils de l’Homme et de son évangile.
Pour l’écouter (21,37-38)
21, 37 Il passait ses journées dans le Temple à enseigner ; mais ses nuits, il sortait les passer en plein air, à l’endroit appelé mont des Oliviers. 38 Et tout le peuple, dès l’aurore, venait à lui dans le Temple pour l’écouter.
Du Temple au mont des Oliviers
Les derniers versets de ce chapitre, précédant la Passion, constituent un sommaire, résumant en quelques lignes l’activité des Jésus par la suite. Jésus enseigne le jour, attirant tout le peuple dès l’aurore. Luc, par ce trait exagéré, permet de considérer le succès de Jésus, et notamment par sa parole. Sa présence semble comme centrale au sein de ce Temple. Tout le peuple vient à lui pour l’écouter comme ils venaient, habituellement, à Dieu, pour les prières et les sacrifices. La conclusion de ce chapitre et de l’ensemble montre l’autorité de la parole de Jésus auprès du peuple, en opposition à l’autorité des élites religieuses (20,1).
Vis-à-vis du Temple, Luc désigne un autre espace : le mont des Oliviers, le lieu de campement nocturne de Jésus – qui, contrairement aux autres évangélistes ne revient pas à Béthanie (Mt 26,6 ; Mc 14,3 ). Il vrai que, lors des grandes fêtes, nombreux pèlerins y campaient ; les logements de la ville ne pouvant suffire à accueillir, parfois, des centaines de milliers de pèlerins. L’approche de la Pâque sera évoquée ci-après (22,1). Ce lieu est davantage mis en apposition avec l’activité diurne et répétée de Jésus au Temple. La proximité du lieu avec le sanctuaire, comme aussi sa pauvreté, exprime davantage combien Jésus se consacre pleinement à la proclamation. Ce mont des Oliviers sera évoqué encore à l’occasion de la prière d’agonie (22,39) et de son arrestation, début de sa Passion.