Parallèles : Mt 26,36-46 | Mc 14,26-42
Rameaux, évangile (C) Lc 22-23
La Cène a offert des clés de compréhension pour la Passion de Jésus. La prière angoissée de celui-ci vient, maintenant, rappeler l’humanité et la fidélité du Fils de Dieu, face au drame à venir.
L’agonie de Jésus (22,39-46)
22, 39 Jésus sortit pour se rendre, selon son habitude, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent. 40 Arrivé en ce lieu, il leur dit : « Priez, pour ne pas entrer en tentation. » 41 Puis il s’écarta à la distance d’un jet de pierre environ. S’étant mis à genoux, il priait en disant : 42 « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » 43 Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait. 44 Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. 45 Puis Jésus se releva de sa prière et rejoignit ses disciples qu’il trouva endormis, accablés de tristesse.46 Il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous et priez, pour ne pas entrer en tentation. »
Selon Luc
Luc rappelle cette habitude de Jésus (21,37) de passer la nuit, avec ses disciples, sur le mont des Oliviers. De plus, le nombre conséquent de pèlerins venus pour la fête de Pâque (22,7-13) rend encore plus difficile la recherche d’un lieu de repos en ville. Jésus revient dont de Jérusalem, après le repas de Pâque. Nous sommes donc à la fin de l’après-midi, peu avant la tombée de la nuit. Le récit de la prière d’agonie comporte nombreuses particularités, propres à Luc.
L’évangéliste ne précise pas le lieu : Gethsémani, ni la présence, à ses côtés, de Pierre, Jacques et Jean (Mt 26,36 ; Mc 14,32). Jésus est seul, à l’écart pour prier, comme lors de ces mêmes moments, évoqués depuis le début de l’évangile. Chez Luc, la mention de ces prières précède toujours un événement important, souvent de type théophanique, en lien avec le devenir des disciples. Ainsi, Jésus se trouvait en prière lors de la théophanie du Jourdain (3,21), avant l’appel des Douze (6,12), au moment de la Transfiguration (9,18) ou pour le Notre Père (11,2).
Dans ce passage, à la différence des autres évangélistes, la prière de Jésus se déroule en une seule fois et n’est pas interrompue. En revanche, le texte de Luc mentionne la présence d’un ange et de la sueur sanguinolente de Jésus. Ces versets (22,43-44) ne sont pas présents dans certains et plus anciens témoins ou manuscrits. Le débat demeure pour savoir s’ils font partie de l’original lucanien ou s’ils constituent un ajout.
Priez, pour ne pas entrer en tentation
La mention des disciples encadre la prière de Jésus répétant cet avertissement : Priez, pour ne pas entrer en tentation (22,40.46). L’épreuve, ou tentation (peirasmos, πειρασμός), est à comprendre en fonction du contexte immédiat. La tentation des disciples est celle de l’abandon ou du reniement comme nous le faisait entendre Jésus un peu plus tôt : 22,32 Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Confrontés au supplice et à la mort de leur Seigneur, les disciples seront bousculés dans leur foi au Fils de l’homme, Christ de Dieu. Aux yeux des contemporains, l’arrestation et la Passion discréditent ce juge eschatologique soumis au pouvoir et à l’autorité des hommes. Ainsi, les disciples seront confrontés au doute et à la déception, comme l’exprimeront, plus tard, ces deux hommes marchant vers Emmaüs : 24, 20 les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. 21 Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. La prière de Jésus constitue, en cela, sa réponse à cette proche épreuve de la foi.
Père si tu le veux
La prière est au centre de ce passage. Jésus est à l’écart comme pour indiquer l’intimité du moment avec son Père. Cependant, il demeure non loin de ses disciples, à un jet de pierre, suffisamment pour les inviter à la même attitude : Priez, pour ne pas entrer en tentation. La prière de Jésus est, elle aussi, associée à l’épreuve de la Passion que, lui, va vivre et dont ses disciples, tel Pierre, seront témoins, au loin (22,54).
Jésus implore son Père, comme l’indique sa position à genoux (1R 8,54 ; 2R 1,13 ; 1Ch 29,20). Il se soumet à Sa volonté, mais non sans difficulté, soulignant la dureté de l’épreuve à vivre. Ce passage permet à Luc d’exprimer combien le Fils vivra sa Passion dans la souffrance à l’image des hommes. Son identité messianique et divine ne l’exempte pas des douleurs comme des tourments. Jésus montre donc à la fois son extrême fidélité au Père, non pas ma volonté, mais la tienne, comme son extrême humanité : éloigne de moi cette coupe. Cette coupe, qui représente la Passion annoncée plus haut (22,17.20), devient aussi le signe, au sein de cette prière, de la relation filiale qui l’unit au Père et à son dessein de salut.
Entré en agonie
À la prière de Jésus, répond la présence du Père à travers l’ange le réconfortant. Cette théophanie permet à Luc, une fois encore, d’affirmer ce lien qui unit le Fils et le Père jusque dans la mission salvifique. Comme nous le verrons dans la Passion, Luc mentionnera encore cette présence du Père par la prière même de Jésus : 23,34 Père, pardonne-leur et 23,46 Père, entre tes mains, je remets mon esprit. Ainsi, le Père demeure présent lors de la Passion.
Pourtant, étonnement, bien que l’ange vienne, au nom du Père, réconforter Jésus, celui entre dans une prière angoissée (agonia, ἀγωνία, agonie, angoisse) : Entré en agonie, Jésus priait avec plus d’insistance, et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient sur la terre. La présence de l’ange n’a donc pas effacé l’abattement de Jésus, qui malgré sa prière insistante, sue comme des gouttes de sang. Le redoublement d’effort dans la prière exprime ce désarroi et la volonté de Jésus d’être toujours fidèle, malgré l’épreuve qui l’attend, au dessein du Père.
La sueur de sang est, certes, un phénomène connu dans le milieu médical (hématidrose), observé, très rarement, chez certains patients extrêmement stressés, ou anxieux. Cependant, la mention du sang, comme aussi celle, plus haut, de la coupe, renvoie davantage le lecteur à l’évocation de sa Passion, et de son sang répandu pour ses disciples dans l’épreuve, comme dans la prière.
Accablés de tristesse
La prière achevée, Jésus trouve ses disciples endormis et accablés de tristesse – littéralement endormis de tristesse. Luc n’explique pas cet accablement ou cet assoupissement. Jésus priant à l’écart, il n’est pas approprié d’associer cette tristesse au contenu même de la prière de Jésus. La tristesse des disciples peut refléter l’angoisse visible de leur maître à laquelle, pour une part, ils communient ; tandis que l’endormissement est, comme lors de la Transfiguration (9,32), associé à l’incompréhension : les disciples ne saisissent pas encore l’imminence du drame. La parole de Jésus oriente, ainsi, le lecteur vers l’attitude des disciples : Pourquoi dormez-vous ? Relevez-vous et priez. Il s’agit là d’un encouragement à tenir et persévérez dans leur fidélité à Dieu malgré les épreuves et tentations à venir. Ces versets ne sont pas sans rappeler le discours eschatologique : Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse … Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver (21,34-36).
Et cette épreuve à vivre advient aussitôt avec l’arrestation de Jésus en ce même endroit et en ce même instant.