Parallèles : Mc 16,1-8 ; Lc 24,1-11 ; (Jn 20,1-2)
L’ensemble des évangiles débute leur récit de la résurrection par la découverte des femmes d’un tombeau vide. Matthieu se distingue avec la présence d’un ange roulant la pierre et la rencontre entre Jésus ressuscité avec ces mêmes femmes1.
A ce premier temps (28,1-10) succèdera l’épisode de la corruption des gardes (28,11-15) et la manifestation du Christ ressuscité à ses disciples (28,16-20). Le récit de la découverte du tombeau vide s’organise en trois temps: la manifestation de l’ange (28,1-4), son message (28,5-7) et la manifestation du Ressuscité (28,8-10). Ainsi, Matthieu fait du message angélique le cœur de cet épisode. L’ensemble de la scène se situe à l’extérieur du sépulcre : ni l’ange du Seigneur, ni les femmes, ni Jésus n’y entreront. Le tombeau vide laisse résonner la parole.
La première théophanie (28,1-4)
28,1 Après le sabbat, à l’heure où commençait à poindre le premier jour de la semaine, Marie Madeleine et l’autre Marie vinrent pour regarder le sépulcre. 2 Et voilà qu’il y eut un grand tremblement de terre ; l’ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre et s’assit dessus. 3 Il avait l’aspect de l’éclair, et son vêtement était blanc comme neige. 4 Les gardes, dans la crainte qu’ils éprouvèrent, se mirent à trembler et devinrent comme morts.
A l’heure où commençait à poindre
Dans la version de l’évangéliste, seules deux femmes viennent au tombeau : Marie Madeleine (ou de Magdala) et l’autre Marie (27, 57 mère de Jacques et Joseph) précédemment témoins de la mort de Jésus (27,55-56) et de la mise au tombeau (27,61). Leur présence rappelle ainsi la réalité de la mort de Jésus crucifié et enseveli.
Elles viennent en ce lendemain du sabbat, comme l’heure où commençait à poindre ce premier jour. L’indication n’est pas seulement d’ordre chronologique. Le véritable premier jour, telle une nouvelle création, est annoncé et deviendra réalité avec la venue de l’ange du Seigneur à l’aspect de l’éclair et vêtu d’une blancheur pure comme la neige.
L’ange du Seigneur
Matthieu insiste sur la venue non pas d’un ange, mais de l’ange du Seigneur. Bibliquement cette désignation permet d’exprimer la présence active de Dieu que l’on ne nomme ni ne représente. Dans la Bible, l’ange du Seigneur (angélos kuriou, ἄγγελος κυρίου) est celui qui intervint en faveur d’Agar pour sauver son fils de la mort (Gn 16,7-11). Il est aussi présent pour empêcher Abraham de sacrifier Isaac (Gn 22,11-15) ou pour barrer la route du devin Balaam, l’empêchant de maudire Israël (Nb 22,31-34). Il apparait à Moïse dans le buisson ardent lorsque Dieu lui demande de faire sortir son peuple (Ex 3,2), etc. Les exemples sont nombreux et déterminent le plus souvent l’action salvatrice du Seigneur. En Matthieu, l’ange du Seigneur était déjà intervenu, en songe, auprès de Joseph pour accueillir Marie (1,20-24) et pour sauver l’enfant de la colère d’Hérode (2,13-19). Il représente ainsi le dessein de Dieu qui doit s’accomplir en son Fils.
La présence de Dieu est encore soulignée par ce séisme, son aspect d’éclair et son vêtement blanc comme neige… L’ange divin s’assoie sur la pierre qu’il a roulé lui-même ; celle-ci devient dès lors son trône. Avec lui, Dieu siège sur la mort elle-même. Cette puissance divine de vie et de mort est aussi rappelée par ces gardes saisis d’effroi devant Dieu, littéralement, secoués et devenant comme morts. Cette expression dit bien que nous sommes en présence de Dieu. Car voir Dieu c’était craindre de mourir.
- Au buisson ardent : Ex 3,6 Moïse se voila la face, car il craignait de regarder Dieu.
- L’annonce de la naissance de Samson à ses parents : Jg 13, 21 Alors Manoah sut que c’était l’ange du Seigneur. 22 Manoah dit à sa femme : « Nous allons sûrement mourir, car nous avons vu Dieu.
- Élie à l’Horeb : 1R 19,11 Le Seigneur dit: « Sors et tiens-toi sur la montagne, devant le Seigneur; voici, le Seigneur va passer. » […] 13 Et après le feu une voix de fin silence. Alors, en l’entendant, Elie se voila le visage avec son manteau; il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.
La situation est ainsi paradoxale : ces gardes vivants, se situant du côté des opposants au Christ Jésus, sont décrits comme morts, tandis que le défunt sera déclaré vivant.
Éclairs et séisme
La théophanie décrite avec la mention du séisme et des éclairs évoque tout autant le jugement eschatologique, débuté à la croix (24,7 ; 27,54), que la révélation divine, comme au Sinaï : Ex 19, 16 Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla. 17 Moïse fit sortir le peuple hors du camp, à la rencontre de Dieu, et ils restèrent debout au pied de la montagne. Matthieu s’adressant à une communauté judéo-chrétienne sait que l’allusion sera entendue.
Cette descente de l’ange du Seigneur manifeste donc le jugement favorable de Dieu en faveur de son Fils. Celui que les hommes ont condamné et crucifié, est rétabli dans son innocence et son autorité par Dieu-lui-même. Il ressuscite son Fils de la mort comme l’ange du Seigneur roule la pierre. Pour Matthieu, ce matin de Pâque constitue non pas l’oubli de la condamnation mais la justification, la réhabilitation, du crucifié par Dieu lui-même. L’action de l’ange du Seigneur permet ainsi de comprendre le tombeau, non plus comme un lieu de mort, mais comme la victoire et le règne du Père. Celui que Dieu a ressuscité est celui qui a donné sa vie en rançon pour la multitude (20,28 ; 26,28).
Le message (28,5-7)
28, 5 L’ange prit la parole et dit aux femmes : « Vous, soyez sans crainte ! Je sais que vous cherchez Jésus le Crucifié. 6 Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez voir l’endroit où il reposait. 7 Puis, vite, allez dire à ses disciples : “Il est ressuscité d’entre les morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; là, vous le verrez.” Voilà ce que j’avais à vous dire. »
Comme il l’avait dit
La crainte des femmes vient confirmer la théophanie dont elles sont témoins et destinatrices. Le message de l’ange vient ainsi les assurer de la bienveillance divine à l’égard des siens : vous, soyez sans crainte. Puis, le message se décompose en trois parties : le rappel du crucifié, que ces femmes sont venues honorer, la déclaration de son absence et l’annonce de sa résurrection à transmettre aux disciples qui devront se rendre en Galilée.
En ce qui concerne la venue des femmes au sépulcre, l’ange du Seigneur, c’est à dire, la présence même de Dieu, manifeste son savoir. Il sait – comme Dieu sait – pourquoi les femmes sont venues. Il rappelle ainsi non pas la présence d’un cadavre mais de Jésus le Crucifié, obligeant les femmes, et le lecteur, à faire mémoire du sens de sa Passion. Mais l’endroit où reposait le crucifié est vide. Plus précisément, ce Crucifié n’est pas ici. L’expression renvoie, non pas à la disparition d’un corps, mais à une action vivifiante: il n’est pas ici car il est ressuscité, comme il l’avait dit. Cette résurrection provient de cette action divine suggérée par la présence agissante de l’ange du Seigneur. Dieu ne l’a pas abandonné au pouvoir de la mort. Bien plus, la parole de l’ange exprime l’omniscience divine : je sais que vous cherchez Jésus… il est ressuscité comme il l’avait dit. Ce savoir divin est partagé par le Fils : comme il l’avait dit. L’ange du Seigneur montre combien s’accomplit la parole même du Christ, elle-même accomplissant la volonté du Père. Ainsi la croix, comme la Résurrection, appartient au dessein de Dieu manifesté par le Christ et sa parole : comme il l’avait dit.
Allez dire à ses disciples
L’annonce du Crucifié ressuscité est destinée à être proclamé. Il s’agit d’un impératif, l’annonce urgente d’une victoire : il faut partir vite la proclamer. Les femmes en deuil sont ainsi établies, par la parole même du Christ, comme apôtres de sa Bonne Nouvelle. Elles ne sont pas seulement de simples messagères. La parole de l’ange est ainsi doublée et confirmée par celle du Christ lui-même.
La manifestation du Ressuscité (28,8-10)
28, 8 Vite, elles quittèrent le tombeau, remplies à la fois de crainte et d’une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. 9 Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent, lui saisirent les pieds et se prosternèrent devant lui. 10 Alors Jésus leur dit : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »
Crainte et grande joie
Crainte et joie sont mêlées. Ces sentiments ne sont pas antinomiques, au contraire : la crainte, ici mentionnée, est celle de tout croyant face à Dieu lui-même (cf. supra). Crainte et joie manifestent que les femmes ont reconnu la présence de Dieu (crainte) et mis leur foi en son message (joie). Cette reconnaissance est doublée : elles se prosternent devant Jésus, reconnaissant ainsi sa Seigneurie. De même, la parole de Jésus confirme celle de l’ange du Seigneur ou plutôt se substitue à elle désormais. Jésus est ressuscité, il est vivant, et sa parole est orientée vers l’avenir. Bien plus, si l’ange du Seigneur désignait les disciples comme les destinataires du message, ceux-ci sont désormais appelés mes frères par le Christ lui-même. Le Ressuscité constitue ainsi le commencement d’un nouveau jour, d’un premier jour qu’est celui d’une Église de frères. La résurrection du Crucifié est associée à cette réalité ecclésiale qui ne saurait faire l’économie de la fraternité née du Christ. Ils sont frères ceux, et celles, qui accueillent cette Bonne Nouvelle.
En Galilée
La parole de Jésus vient confirmer deux éléments. D’une part, la réalité de sa résurrection : Jésus vient à leur rencontre et salue les femmes. D’autre part, sa parole confirme la nécessité des disciples-frères de se rendre en Galilée, le lieu où tout a commencé pour ces disciples (3,13 ; 4,18). Eux-mêmes sont, par conséquent, invités à relire leur itinéraire à la lumière de la parole du Crucifié-Ressuscité. Le message de celui-ci ne consiste pas en un savoir mystérieux. Il est destiné à une rencontre : c’est là qu’ils me verront. Pour autant, ce dialogue entre Jésus et ces femmes doit aussi se confronter aux propos corrompus, et mensongers, des gardes.
- L’évangile selon Jean (20,11-18) raconte aussi la manifestation du Christ à la seule Marie de Magdala ; de même la finale longue de Marc (16,9) ↩︎