4ème dim. Avent (A)
Saint Joseph (19 mars) Mt 1,16.18-21.24a
Après la généalogie, Matthieu introduit subitement le récit de la nativité par un drame. Il décrit une situation complexe à laquelle Joseph doit faire face. L’évangéliste met en exergue davantage cette situation que le fait que Marie soit enceinte de l’Esprit Saint, c’est-à-dire par l’action même de Dieu. Contrairement à l’évangile de Luc, Marie est le personnage discret et silencieux de ce passage et joseph le héros.
Cet épisode est adapté de l’épisode du podcast “Joseph et le divin enfant” :
Répudier ? (1,18-19)
1, 18 Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. 19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
Le dilemme
Tout commence donc avec un couple promis au mariage. Autrement dit, ils ne vivent pas encore sous le même toit : ils sont fiancés mais – comme on dirait aujourd’hui- les bans sont publiés. Le projet est public et connu : il s’agit d’une promesse, d’un engagement. Or le fait que sa future épouse soit trouvée enceinte constitue une infamie pour lui, sa famille comme la famille de Marie. La promesse peut apparaître aux yeux de tous comme non tenue, brisée par une union illégitime. Le lecteur sait que cette future naissance provient du dessein de Dieu par l’action son Esprit Saint. Mais, pour Joseph, la situation est différente.
Il est un homme juste. Cette expression, dans ce contexte, renvoie à la fidélité du croyant vis-à-vis des commandements du Seigneur. Joseph, l’homme juste, c’est-à-dire juste envers la Loi doit – pour respecter celle-ci – répudier Marie. En réalité les textes législatifs sont plutôt flous dans ce cas. Et justement l’attitude de Joseph rend compte de cette complexité.
Que dit la Loi ?
À quels textes de la Loi, l’homme, juif et croyant de ce premier siècle galiléen, doit-il se référer pour un tel cas ? Le livre du Deutéronome prévoit l’exclusion et la lapidation.
Dt 22, 13 Lorsqu’un homme a pris une femme, est allé vers elle, puis a cessé de l’aimer, 14 s’il lui reproche sa conduite et lui fait une mauvaise réputation […] 20 Mais si la chose est avérée, et qu’on n’ait pas trouvé à la jeune femme les signes de la virginité, 21 on la fera sortir à la porte de la maison de son père et ses concitoyens la lapideront jusqu’à ce que mort s’ensuive, pour avoir commis une infamie en Israël en déshonorant la maison de son père. Tu feras disparaître le mal du milieu de toi.
Cependant, ce texte vaut pour un homme marié qui s’aperçoit, lors de sa nuit de noce, que son épouse n’est pas vierge comme il lui a été promis. Ce qui n’est pas le cas de Joseph, pas encore en tout cas. D’autre part, il faut que la chose soit avéré et prendre en compte d’autres faits et commandements. Par exemple ceux du livre des Nombres (Nb 5 11-37), qui parlent d’un soupçon d’inconduite au sein d’un couple. Cette affaire est portée au Temple et jugé sur le serment de la femme devant un prêtre du Temple.
Nb 5, 13 qu’un autre ait à l’insu de cet homme des rapports avec elle, qu’elle se soit souillée en secret, sans qu’il y ait de témoin contre elle, sans qu’elle ait été prise sur le fait; …15 cet homme amènera sa femme au prêtre…. 18 Le prêtre fera comparaître la femme devant le Seigneur et la décoiffera; il mettra sur ses mains ouvertes l’offrande de dénonciation, c’est-à-dire l’offrande de jalousie, tandis que lui-même aura à la main l’eau d’amertume qui porte la malédiction. 19 Le prêtre fera prêter serment à la femme en lui disant: “S’il n’est pas vrai qu’un homme ait couché avec toi, que tu te sois mal conduite, que tu te sois déshonorée en trompant ton mari, sois préservée de la malédiction que porte cette eau d’amertume.
Mais, en ce cas, il ne s’agit pas de la première nuit de noce. Un autre passage du Deutéronome ne mentionne que la répudiation :
Dt 24, 1 Lorsqu’un homme prend une femme et l’épouse, puis, trouvant en elle quelque chose qui lui fait honte, cesse de la regarder avec faveur, rédige pour elle un acte de répudiation et le lui remet en la renvoyant de chez lui.
Ce passage est très souvent évoqué pour le cas de Marie en cet évangile : les fiançailles conclues étant associé à un mariage. La solution de la répudier Marie en secret semble suivre ces versets (Dt 24,1), mais finalement ne correspond pas tout à fait à ce cadre. Le récit de Matthieu précise qu’ils ne sont que promis en mariage et qu’il n’y pas eu encore de consommation.
Cet imbroglio législatif et la situation ambigüe de Joseph montrent toute la difficulté de suivre la lettre de la Loi. D’autant que, narrativement, la répudiation en secret n’a aucun sens puisque cette absence sera connue du village. Cette situation souligne l’état de confusion que le récit veut apporter. Soulignons d’ailleurs qu’il ne s’agit que d’un projet, celui d’un homme juste qui se débat avec la Loi, mais celui de Dieu.
L’ange du Seigneur (1,20-21)
1, 20 Il avait formé ce projet, et voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint, 21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Ne crains pas
C’est ici que la situation est rétablie, mais aussi renversée, grâce à un ange du Seigneur apparu en songe. Ces deux caractéristiques (l’ange et le songe) soulignent l’importance de l’intervention divine. La parole de l’ange vient donc rétablir la situation, pour la rendre juste.
Premièrement, la parole de Dieu, à travers l’ange, vient rendre compte de la vérité. Marie n’a pas été adultère, elle est bénéficiaire de l’action de l’Esprit Saint. Cet Esprit de Dieu, dans le langage biblique renvoie à deux réalités. L’Esprit est souvent à l’acte Créateur de Dieu. Dans le récit de la Genèse (Gn 1,2), l’Esprit (ou le souffle) plane sur la surface des eaux. De plus, la mention de l’Esprit renvoie à cette attente messianique où le Seigneur envoie son Esprit pour rétablir la justice et son Royaume comme on pourrait le lire en Isaïe (Is 11,2) ou Ézéchiel (Ez 36,27). Ainsi, Dieu s’exprime comme le Créateur qui vient rétablir et inaugurer un temps nouveau.
Deuxièmement, la manifestation de l’ange, permet à Joseph d’obéir sans crainte à la parole de Dieu. Il peut épouser Marie sans se trouver en porte à faux avec La Loi. Un homme juste est d’abord celui qui veut être ajusté à la volonté de Dieu. Cette volonté s’exprime par la Loi donnée à Moïse, mais ici Dieu fait part à Joseph de sa réelle volonté, qui a plus de valeur que la Loi. Joseph demeure un homme juste s’il se met à son écoute et accueille Marie.
Troisièmement, l’ange du Seigneur lui donne toute l’autorité paternelle : tu l’appelleras du nom de Jésus, nom signifiant Dieu-sauve. Car cela aurait pu aussi être un autre drame. L’enfant à naître issu de Dieu, pourrait écarter Joseph d’une réelle paternité, un drame pour tout père et croyant juif. Par sa conception divine, Jésus reçoit le titre de Fils de Dieu car conçu de l’Esprit Saint. Mais l’ange donne aussi à Joseph la pleine autorité paternelle : ‘tu l’appelleras’. L’ange donne mission à Joseph d’être pour lui un père. Dans cette antiquité, comme tout père adoptif, Joseph peut léguer à Jésus, son nom, ses biens et sa généalogie patriarcale et royale.
Mais la situation est renversée. Car le péché n’est plus dans l’apparente situation de Marie, mais dans la situation même du peuple : tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés dit l’ange à Joseph. La suspicion de péché envers Marie est effacée au profit d’une rédemption annoncée pour le peuple. Habituellement dans la tradition biblique, le sauveur, c’est Dieu lui. Jésus reçoit ce titre de sauveur. Il est, enfant, celui qui incarne le salut divin. Comme va le montrer la suite du récit.
L’Emmanuel (1,22-23)
1, 22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète: 23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit: « Dieu avec nous ».
La vierge concevra
Matthieu fait appel ici à l’accomplissement des Écritures à partir du passage d’Isaïe, annonçant alors, dans le contexte isaïen, la naissance d’un fils au roi Akhaz qui attend la fin de sa dynastie.
Is 7, 12 Akhaz répondit: « Je n’en demanderai pas et je ne mettrai pas le Seigneur à l’épreuve. » 13 Il dit alors: Écoutez donc, maison de David ! Est-ce trop peu pour vous de fatiguer les hommes, que vous fatiguiez aussi mon Dieu ? 14 Aussi bien le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe: Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. 15 De crème et de miel il se nourrira, sachant rejeter le mal et choisir le bien.
Pour le livre d’Isaïe, je vous renvoie à l’épisode 107 du podcast sur prophétie de l’Emmanuel.
Ce passage d’Isaïe choisi par Matthieu est intéressant à plus d’un titre :
D’abord rappelle que le Seigneur n’a pas oublié la lignée davidique. Le fils à naître sera l’Emmanuel royal. Mais, la conception de Jésus donne aussi un autre sens à ce nom. Emmanuel signifie Dieu avec nous. L’enfant Jésus n’est pas simplement le signe de l’action favorable de Dieu, ni un enfant du miracle comme Samson, Samuel, Jacob, etc., il est la présence même de Dieu avec nous, avec son peuple.
Enfin l’enfant est né de la vierge selon Isaïe dans sa version grecque. L’évangéliste explique la naissance virginale de Jésus à partir de l’Écriture. Elle devient ici l’accomplissement et l’expression du dessein de Dieu. La Parole de l’ange n’est donc pas anodine, elle est essentielle pour que Joseph puisse comprendre Qui est cet enfant, et comment il doit se comporter désormais.
L’enfant (1,24-25)
1, 24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse, 25 mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
Jusqu’à ce qu’elle eût enfanté
Chez Matthieu, le récit de la naissance est bref. Mais le passage montre combien Joseph obéit en tout point à la parole de Dieu : il prend Marie pour épouse, et ne la connut pas, pour éviter toute confusion et respecter le dessein de Dieu. Enfin il lui donne le nom de Jésus, comme l’ange lui a demandé.
L’histoire pourrait s’arrêter là, s’il n’y avait l’arrivée d’étranges visiteurs : des mages venus d’orient.