Parallèles : Mc 14,32-42 ; Lc 22,39-46 ; (Jn 12,27)
Dim. des Rameaux (A) Mt 26,14-27,66
Après le repas, Jésus et ses disciples se rendent au mont des Oliviers, en un lieu appelé Gethsémani qui sera celui de la prière de Jésus à son Père et celui de l’arrestation prochaine (26,47-56).
Organisation
Ce qui frappe, dans la version de Matthieu, est l’insistance sur les déplacements et la répétition de la prière de Jésus :
- Les disciples à Gethsémani (26,36)
- Là-bas, avec Pierre et les fils de Zébédée : invitation à veiller et prier (26,37-38)
- Un peu plus loin, Jésus seul priant le Père (1er fois) (26,39)
- Retour vers Pierre et les disciples endormis : invitation à veiller et prier (26,40-41)
- Jésus s’éloigne pour prier le Père (2ème fois) (26,42)
- Retour vers les disciples endormis (26,43)
- Jésus s’éloigne pour prier le Père (3ème fois) (26,44)
- Retour vers les disciples : vous pouvez dormir / levez-vous (26,45-46)
- Là-bas, avec Pierre et les fils de Zébédée : invitation à veiller et prier (26,37-38)
Le texte insiste sur deux points : la même (ou presque) prière de Jésus au Père et l’endormissement croissant des disciples invités pourtant à veiller et prier.
Tristesse et angoisse (26,36-38)
26, 36 Alors Jésus parvient avec eux à un domaine appelé Gethsémani et leur dit : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas pour prier. » 37 Il emmena Pierre, ainsi que [Jacques et Jean], les deux fils de Zébédée, et il commença à ressentir tristesse et angoisse. 38 Il leur dit alors : « Mon âme est triste à en mourir. Restez ici et veillez avec moi. »
Gethsémani
Comme l’évangéliste Marc, Matthieu situe Gethsémani sur le mont des Oliviers où Jésus et ses disciples se sont rendus après le chant des psaumes (26,30). Le nom du lieu signifie pressoir à huile et par conséquent, se situe au bas du mont des oliviers. Cette précision permet de mieux visualiser ce passage dans lequel les déplacements tiennent une place importante.
Tristesse et angoisse
Le sentiment de tristesse et d’angoisse souligne combien son destin prochain est assumé de manière réaliste. Jésus ne marche pas en vainqueur, héroïquement, vers son supplice, sûr de sa résurrection. Il aborde ce moment avec lucidité, face à la mort. Bien plus, le moment rejoint l’angoisse et la désespérance du juste persécuté et méprisé du psalmiste, lorsque Jésus s’exprime en ces termes : Mon âme est triste à en mourir.
Ps 41/42 4 Je n’ai d’autre pain que mes larmes, le jour, la nuit, moi qui chaque jour entends dire : « Où est-il ton Dieu ? […] 6 Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu ! […] 10 Je dirai à Dieu, mon rocher : « Pourquoi m’oublies-tu ? Pourquoi vais-je assombri, pressé par l’ennemi ? » 11 Outragé par mes adversaires, je suis meurtri jusqu’aux os, moi qui chaque jour entends dire : « Où est-il ton Dieu ? » 12 Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu !
L’approche de son supplice et sa mort interroge cette foi en Dieu et en son salut. La prière de Jésus, chez Matthieu, va ainsi exprimer non seulement son abandon à la volonté du Père, mais aussi son souci envers la foi des siens qui sera, également, mise à l’épreuve de la croix.
Pierre et les fils de Zébédée
Si l’ensemble des disciples sont présents à Gethsémani, seuls trois d’entre eux accompagnent Jésus dans sa prière. Ce ne sont pas pour autant trois privilégiés. Pierre et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, sont les disciples qui, précédemment, exprimaient leur certitude de résister face à l’adversité.
Pierre, peu avant, avait manifesté sa détermination à mourir avec et pour son Seigneur : 26, 33 Si tous viennent à tomber à cause de toi, moi, je ne tomberai jamais. 35 Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. Et cela, en dépit de l’annonce de son reniement.
Matthieu ne nomme pas Jacques et Jean, préférant les désigner en tant que fils de Zébédée. C’est ainsi que l’évangéliste les nommait également lors de la demande leur mère : 20,21 Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. A ces derniers, Jésus demandera : 20,22 Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? Ils lui disent : « Nous le pouvons. »
Dans ce passage il sera aussi question de coupe à boire (v.39.42), de mort et de trahison (v.38.45-46). Jésus permet ainsi à ces trois disciples de reconsidérer leur posture en leur demandant : veillez avec moi. Cette veille représente la vigilance face à l’épreuve de Jésus mais aussi la fidélité qui leur est demandée, à eux qui s’en faisaient les défenseurs. Jésus leur demande d’être avec [lui] (v.38.40), associés au témoignage de cette épreuve. Or, malgré leurs déclarations passées, aucun ne tiendra dans cette prière. Jésus devra affronter, sciemment mais seul, la croix et le dessein du Père.
Que cette coupe passe loin de moi (26,39-41)
26,39 Allant un peu plus loin, il tomba face contre terre en priant, et il disait : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » 40 Puis il revient vers ses disciples et les trouve endormis ; il dit à Pierre : « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller seulement une heure avec moi ? 41 Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation ; l’esprit est ardent, mais la chair est faible. »
De Gethsémani au Sinaï, ou inversement
Dans ce récit, Jésus ne cesse de se déplacer alors que les disciples sont décrits dans un immobilisme : ce qui annonce déjà leur comportement face à la passion de Jésus. Ainsi, durant tout ce passage, les disciples s’installent pour la nuit à Gethsémani (26,36). Puis Jésus emmène plus loin, nos trois disciples et enfin fera, par trois fois, l’aller-retour, entre ces derniers et l’endroit de sa prière au Père. Ces mouvements de Jésus évoquent ceux de Moïse lors de la révélation de Dieu et ses commandements aux fils d’Israël, sur le Sinaï. Le peuple est installé en bas de la montagne (Ex 19,2.17), et par trois fois Moïse monte à la rencontre du Seigneur (Ex 19,3.8b.20) et en redescend pour donner les instructions divines au peuple (Ex 19,7.14.25). La même scène se répète aussi lors de l’institution de l’alliance (Ex 24,9), où, là, sont présents, à mi-distance, trois témoins privilégiés : Aaron et ses deux fils : Nadav et Abihou (Ex 6,23). Comme écho, Matthieu met en scène Pierre et deux frères. Ces mêmes récits confrontent le peuple à la volonté divine. Cependant, en cet instant, la passion du Christ se substitue au don des lois. C’est elle révèlera le dessein de salut de Dieu.
Non pas comme je veux
La prière de Jésus demeure très sobre. Elle est adressée à Dieu avec l’expression ‘mon Père’ souvent liée à la révélation et l’accomplissement de sa volonté (7,21 ; 12,50 ; 16,17 ; 20,23 …). Jésus face à la souffrance de la passion à venir, se plie malgré tout à la volonté du Père. Il faut bien distinguer ces deux éléments, sans pour autant les dissocier. Le dessein de Dieu n’est pas de voir son Fils souffrir, et la réticence de Jésus à cet endroit : que cette coupe passe loin de moi, exprime combien la mise à mort annoncée est éloignée de la mission même du Christ qui révèle d’abord la miséricorde du Père . L’acte de crucifixion n’est donc pas le moyen de Dieu pour exprimer sa volonté. Cependant, dans la narration, le rejet grandissant des religieux au pouvoir, rend l’événement inéluctable. D’autant que pour révéler le salut et la miséricorde du Père, Jésus se refuse à toute violence et vengeance, comme il l’exprimera lors de son arrestation : 26, 53 Crois-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père ? Il mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges. 54 Mais alors, comment s’accompliraient les Écritures selon lesquelles il faut qu’il en soit ainsi ?
Pour ne pas entrer en tentation
Ce premier déplacement avec les mêmes trois disciples n’est pas sans rappeler celui de la transfiguration (17,1-9) qui manifestait son identité de Fils et son destin. Mais, ici, il n’est nul besoin de planifier trois tentes. En moins d’une heure, les disciples sont déjà endormis, signe de leur incompréhension. Alors, à l’instruction précédente : Restez ici et veillez avec moi (v.38) Jésus, sous la plume de Matthieu, ajoute un motif : pour ne pas entrer en tentation.
Une fois de plus, le texte nous renvoie à la prière du Notre Père (6,9-15), de l’acceptation de sa volonté (6,10) jusqu’à la demande de soutien face la tentation (6,13). Cette tentation, comme écrit plus haut, désigne surtout celle, pour le croyant, de refuser le dessein de Dieu, inattendu et inconcevable aux yeux de certains. Jésus s’adresse à Pierre, mais parle au pluriel : à travers lui, le texte s’adresse à l’apôtre comme au lecteur croyant de toute époque.
L’esprit des disciples est animé de zèle et de fougue ardente mais leur chair, c’est-à-dire leur condition humaine, est marquée par la fragilité et la faillibilité. Pour le dire autrement, le seul à pouvoir, avec le soutien du Père, affronter l’épreuve de la Passion pour révéler le salut de Dieu est Jésus qui, sans faille, ira jusqu’au bout de sa mission. L’aspiration ardente de nos trois disciples à mourir avec lui et à boire à sa coupe, s’est muée en un endormissement, loin de la prière et de la vigilance qui leur fut demandées.
Que ta volonté soit faite (26,42-44)
26, 42 De nouveau, il s’éloigna et pria, pour la deuxième fois ; il disait : « Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » 43 Revenu près des disciples, de nouveau il les trouva endormis, car leurs yeux étaient lourds de sommeil. 44 Les laissant, de nouveau il s’éloigna et pria pour la troisième fois, en répétant les mêmes paroles.
La même prière ?
Une seconde fois, dans l’intimité de la prière, Jésus s’adresse à son Père avec une légère différence que lors de la première fois : Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! Le texte montre un crescendo dans l’acceptation du Christ. La première évoquait l’éventualité d’éviter la crucifixion (s’il est possible…) notamment dans la manière de révéler le dessein de Dieu (comme toi tu veux). Cette fois, la prière se fait plus affirmative : si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! La seconde prière de Jésus souscrit davantage à la volonté du Père explicitement exprimée.
Lourds de sommeil
L’endormissement des disciples est désormais pesant. Ils sont incapables d’être avec leur Seigneur dans sa tristesse et son angoisse, comme dans sa prière. La lourdeur de leurs yeux (oï ophthalmoï bébarèménoï, οἱ ὀφθαλμοὶ βεβαρημένοι) rappelle l’appesantissement du cœur de Pharaon (Ex 7,14 bébarètaï è kardia pharaô, βεβάρηται ἡ καρδία Φαραω ) ne voulant pas voir le salut de Dieu. L’horizon de la croix annonce déjà celui du reniement et de la trahison. Pour autant, avec cette troisième prière, Matthieu montre la fidélité tenace du Fils envers la volonté du Père.
Allons ! (26,45-46)
26, 45 Alors il revient vers les disciples et leur dit : « Désormais, vous pouvez dormir et vous reposer. Voici qu’elle est proche, l’heure où le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. 46 Levez-vous ! Allons ! Voici qu’il est proche, celui qui me livre. »
Vous pouvez dormir. Levez-vous !
Ces derniers versets sont des plus étranges. Jésus indique à ses disciples endormis qu’ils peuvent encore dormir et se reposer. Puis, aussitôt, leur demande de se lever. Il pourrait y avoir comme une contradiction dans la bouche de Jésus. On pourrait certes comprendre le double impératif de Jésus Levez-vous ! Allons ! comme la réaction de celui-ci au surgissement inopiné du traître. Mais, Matthieu aurait alors, prévenu son lecteur par une incise annonçant l’arrivée de celui-ci. Car, ici, tous les éléments font partie d’une seule intervention de Jésus.
La phrase suit une construction parallèle, en trois éléments :
- 45b vous pouvez dormir et vous reposer. καθεύδετε [τὸ] λοιπὸν καὶ ἀναπαύεσθε
- 45c Voici qu’elle est proche, ἰδοὺ ἤγγικεν
- 45d l’heure où le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs
ἡ ὥρα καὶ ὁ υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου παραδίδοται εἰς χεῖρας ἁμαρτωλῶν.
- 45d l’heure où le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs
- 45c Voici qu’elle est proche, ἰδοὺ ἤγγικεν
- 46a Levez-vous ! Allons ! ἐγείρεσθε ἄγωμεν
- 46b Voici qu’il est proche, ἰδοὺ ἤγγικεν
- 46c celui qui me livre. » ὁ παραδιδούς με.
- 46b Voici qu’il est proche, ἰδοὺ ἤγγικεν
Le début de chaque phrase est marqué par une opposition. À l’invitation au sommeil et au repos correspond l’impératif de se lever et d’aller. Au centre, Jésus pose le constat de l’avènement proche de l’heure (v.45c) ou du traitre (v.46b). Enfin, le dernier élément (45d.46c) évoque la livraison de Jésus, Fils de l’homme.
L’heure est proche
La première invitation à dormir et se reposer est à mettre en lien avec l’acceptation et l’abandon de Jésus à la volonté du Père. Désormais, ces faux-zélés disciples peuvent dormir et se reposer : le Père et le Fils seront les seuls acteurs du salut à venir. Ces disciples pourront se reposer sur le dessein de Dieu que le Fils va accomplir. L’heure est proche. Cette heure annoncée permet de souligner l’avènement du jugement et du règne du Père, évoqué auparavant par Jésus et désormais associé à sa Passion. L’heure représente le moment de la révélation attendue du Fils de l’homme, mais dans sa livraison aux mains des pécheurs, c’est-à-dire, de ceux qui refusent le salut de Dieu en Jésus-Christ : grands-prêtres et anciens de Jérusalem.
- 24, 36 Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais seulement le Père, et lui seul. […] 42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur vient.
- 25, 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
La seconde invitation : Levez-vous, allons ! exprime cette révélation attendue. Les disciples doivent se lever face à la gravité de la Passion. Avec le second impératif : allons ! à la première personne du pluriel, Jésus, le Fils de l’homme, associe ses disciples à sa passion. Ils seront, quoiqu’impuissants, concernés par son procès et sa condamnation, qui révèleront le dessein salvifique du Père. Ce dernier verset insiste donc sur la proximité de cette révélation avec l’arrestation.
La proximité de l’heure et de la livraison du Fils de l’homme rappelle cette proximité du royaume annoncée depuis le début de l’évangile par Jean le baptiste : 3,2 le royaume des Cieux est proche, et par Jésus lui-même proclamant : 4,17 le royaume des Cieux est proche.
Gethsémani et l’arrestation
L’annonce de la venue de celui qui le livre, est immédiatement suivi du récit de l’arrestation. Il n’y a aucun moment de répit. Mais cette arrivée inopinée n’est pas pour autant imprévue. Matthieu souligne combien Jésus, tel un prophète, connaît le dessein qui l’attend. L’arrestation ne surprend pas Jésus, et, au contraire, c’est lui qui va surprendre et Judas et ses opposants.
Je me repose bien. Merci