Parallèles : Mc 14,66-72 ; Lc 22,56-62 ; (Jn 18,25-27)
Dim. des Rameaux (A) Mt 26,14-27,66
Tandis que Jésus est accusé et bafoué par le Conseil suprême des grands-prêtres, des scribes et des anciens, l’évangéliste revient sur le personnage de Pierre, laissé précédemment dans la cour du palais de Caïphe : 26, 58 Quant à Pierre, il le suivait à distance, jusqu’au palais du grand prêtre ; il entra dans la cour et s’assit avec les serviteurs pour voir comment cela finirait.
Pierre attend l’issue de la comparution devant ce sanhédrin nocturne. Or, ce spectateur silencieux est, maintenant, pris à partie. Le procès de Jésus rejaillit sur sa personne. Deux servantes et d’autres reconnaissent en lui, un compagnon de Jésus.
Dans la cour (26,69-70)
26, 69 Cependant Pierre était assis dehors dans la cour. Une jeune servante s’approcha de lui et lui dit : « Toi aussi, tu étais avec Jésus, le Galiléen ! » 70 Mais il le nia devant tout le monde et dit : « Je ne sais pas de quoi tu parles. » 71 Une autre servante le vit sortir en direction du portail et elle dit à ceux qui étaient là : « Celui-ci était avec Jésus, le Nazaréen. » 72 De nouveau, Pierre le nia en faisant ce serment : « Je ne connais pas cet homme. » 73 Peu après, ceux qui se tenaient là s’approchèrent et dirent à Pierre : « Sûrement, toi aussi, tu es l’un d’entre eux ! D’ailleurs, ta façon de parler te trahit. » 74 Alors, il se mit à protester violemment et à jurer : « Je ne connais pas cet homme. » Et aussitôt un coq chanta. 75 Alors Pierre se souvint de la parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement.
La version de Matthieu
Le récit de l’évangéliste est, une fois encore, proche de celui de Marc (14,66-72). Il place la scène sitôt la comparution devant le grand-prêtre, tandis, chez Luc (22,56-62), elle suit immédiatement l’arrestation. Dans l’évangile de Jean, le reniement de Pierre est inséré, en trois sections distinctes, au sein même du procès. Les particularités de Matthieu concernent la désignation de Jésus le Galiléen, ou le Nazôréen. De même, l’évangéliste insiste sur le reniement de Pierre avec la notion de serment.
Un autre procès ?
Le procès de Jésus devient maintenant celui de Pierre, et à travers lui, celui de la communauté matthéenne. Alors que le nombre important de faux-témoins n’avait pas suffi à perdre Jésus, il en est autrement pour Pierre. Il est d’ailleurs le seul vrai compagnon et témoin de Jésus accusé de blasphème. Dès lors, Pierre n’est plus, en cette cour du grand-prêtre, seulement un simple comparse, mais un disciple complice, qui doit répondre des accusations devant tout le monde (v.70). Et c’est bien ainsi que l’apôtre est désigné pour être avec Jésus ou l’un d’entre eux. Mais, à l’inverse de son Seigneur, Pierre doit faire face à de vraies accusations, qui vont crescendo dans son lien avec celui qu’il confessait Christ, Fils du Dieu vivant (16,16).
- 69 Toi aussi, tu étais avec Jésus, le Galiléen !
- 71 Celui-ci était avec Jésus, le Nazaréen. (litt. Nazôréen)
- 73 Sûrement, toi aussi, tu es l’un d’entre eux !
Avec le Galiléen, le Nazôréen, l’un d’entre eux
La première servante le reconnaît pour être avec Jésus, le Galiléen. Le seconde servante précise même : avec Jésus le Nazôréen. Ce terme est moins équivoque et insiste moins sur son appartenance ethnique. Dans l’évangile de Matthieu, Jésus est ainsi désigné lors de sa venue enfant en Galilée :
2, 22 Joseph se retira dans la région de Galilée 23 et vint habiter dans une ville appelée Nazareth, pour que soit accomplie la parole dite par les prophètes : Il sera appelé Nazaréen (Litt. Nazôréen).
L’usage du terme Nazôréen renvoie, comme nous l’avons vu, à la figure prophétique de Jésus, comme le rappelaient aussi les foules lors de son entrée à Jérusalem : 21,11 Les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »
La troisième accusation : tu es l’un d’entre eux, ne fait plus seulement référence à sa relation au Christ, mais aussi, à la communauté des disciples. Le reniement de Pierre n’est donc plus seulement le désaveu envers Jésus, mais aussi envers ses frères. La précision ta façon de parler te trahit souligne deux éléments. D’abord, elle peut faire référence à l’accent Galiléen particulier, comme autrefois les Ephraïmites qui furent perdus en raison de leur parler régional :
Jg 12, 5 Et lorsqu’un des rescapés d’Éphraïm disait : « Je voudrais traverser », les hommes de Galaad lui demandaient : « Es-tu d’Éphraïm ? » S’il répondait : « Non », 6 ils lui disaient : « Eh bien, dis : Shibboleth1 !» Lui prononçait : « Sibboleth », car il n’arrivait pas à dire le mot correctement. Alors, on se saisissait de lui.
Même ici, Pierre se refuse l’évidence : ta façon de parler te trahit (litt. ton parler te rend visible, évident) . Mais Matthieu fait-il seulement référence à son accent galiléen ? Car celui-ci aurait pu être déceler auparavant. Or, la mention de son parler est en lien avec son appartenance à la communauté des disciples du Nazôréen. Il est l’un d’entre eux, il parle comme eux.
Les réponses de Pierre
Les réponses de Pierre ne sont pas seulement verbales. Dans l’évangile de Matthieu, elles se situent aussi dans son attitude. Plus on s’approche de lui (v.69.73), plus il s’éloigne : d’abord vers le portail (v.71) avant de sortir définitivement (v.75). Dans son reniement, Pierre ne s’écarte pas seulement de celles et ceux qui l’accusent, mais d’abord de son Seigneur bafoué injustement.
Dans sa défense maladroite, les paroles de Pierre sont succinctes et reprennent à chaque fois, le même argument : je sais pas/je ne connais pas qui traduit le même verbe grec : ouk oida (οὐκ οἶδα).
- 70 Je ne sais pas de quoi tu parles.
- 72 Je ne connais pas cet homme
- 74 Je ne connais pas cet homme.
Alors que les servantes et les autres personnes le reconnaissent, Pierre méconnaît son Seigneur publiquement (70 il le nia devant tout le monde), jusqu’à faire serment (v.72) puis protestant violemment et jurant (v.74). Plus l’évidence de sa relation à Jésus est démontrée, plus il renie Jésus avec force. Pierre rejoint ainsi, paradoxalement, les témoins mensongers du procès de Jésus. Le reniement de Pierre contraste avec sa confession de foi d’hier (16,16), comme si la Passion de Jésus venait mettre à mal ses convictions : il ne connaît plus en cet homme accusé et bafoué, ce Christ et Fils du Dieu vivant.
La foi de Pierre est ainsi confrontée à l’humiliation de Jésus, bientôt crucifié, mais aussi aux accusations dont il fait l’objet, qui font écho aux persécutions à venir, et déjà vécue par la communauté matthéenne.
Un coq chanta
Le récit du reniement de Pierre est aussi celui d’un repentir :
74 … Et aussitôt un coq chanta. 75 Alors Pierre se souvint de la parole que Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Il sortit et, dehors, pleura amèrement.
Pour autant, le chant du coq ne vient pas enfoncer Pierre dans sa culpabilité. Certes, les pleurs de Pierre expriment sa désolation. Cependant, ce coq matinal rappelle la parole prophétique de Jésus qui annonçait combien l’événement de la Passion serait une pierre d’achoppement pour ses propres disciples :
26, 31 Alors Jésus leur dit : « Cette nuit, je serai pour vous tous une occasion de chute ; car il est écrit : Je frapperai le berger, et les brebis du troupeau seront dispersées. 32 Mais, une fois ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » 33 Prenant la parole, Pierre lui dit : « Si tous viennent à tomber à cause de toi, moi, je ne tomberai jamais. » 34 Jésus lui répondit : « Amen, je te le dis : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » 35 Pierre lui dit : « Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas. » Et tous les disciples dirent de même.
La scène rappelle la fragilité du disciple, et non des moindres, livré à lui-même, mais surtout met en lumière l’identité de Jésus assumant sa Passion pour révéler la vérité de Dieu et son Évangile. Le reniement de Pierre vient ainsi en contraste avec la fidélité de Jésus à sa mission.
- Shibboleth, mot hébreu signifiant épi ↩︎