Messe de la nuit de Noël
Pour un commentaire biblique lire :
Lc 2,1-14 Nativité de Jésus à Bethléem
Et si Noël était l’histoire d’une perte de temps ?
Pourquoi, dans ce récit de la Nativité selon Luc,
Dieu perd-il son temps en des lieux ignorés
et auprès de personnages improbables ?
Le recensement des grands de ce monde (Lc 2,1-5)
Luc 2, 1 En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – 2 ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. – 3 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. 4 Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. 5 Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Eux ne perdent pas leur temps
Eux ne perdent pas leur temps, cet empereur Auguste et ce gouverneur Quirinius à organiser ce recensement sur toute la terre, comme si elle leur appartenait ?[1. L’évangile de Luc souligne le caractère improbable de ce recensement dans son récit de type légendaire – cf commentaire de Lc 2,1-21]. Un recensement en vue de l’impôt, mais un recensement insensé obligeant nombre de personnes à des déplacements inutiles, afin d’être comptées comme des brebis dans leur étable d’hier, lointaine.
C’est la folie du pouvoir d’occuper son temps, sous couvert de nécessité, voire de charité, à prouver sa soi-disant toute-puissance et compter combien chacun doit lui être redevable, parfois de manières mensongères. Ne cherchons pas trop autour de nous, quand cette tentation du pouvoir, de dominer son entourage – nos recensements – exprime cette attitude comptable qui atteint nos propres existences, notre quotidien.
Or, face à ce temps du pouvoir, temps passé à gagner les bénéfices, les honneurs et la gloire, demeure ce temps de Dieu, temps perdu, au regard.
La venue pitoyable du Sauveur (Lc 2,6-7)
2, 6 Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. 7 Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Dieu perd son temps avec un enfant
On attendait un Sauveur, un messie de Dieu, fort puissant, terrifiant par ses prodiges, ayant en main la colère de Dieu. Mais ce Messie venu n’est qu’un nouveau-né, aux parents délaissés dans une étable : un enfant couché dans une mangeoire, emmailloté, immobile, fragile, trop fragile. Trop petit. Trop faible. La scène de la naissance du Sauveur est pitoyable ! Ni or, ni palais, ni lumière divine. Rien. Que paille et poussière.
Il faudra donc qu’il grandisse, qu’il échappe aux maladies infantiles, aux accidents, à la violence. Pourquoi perdre son temps avec un mioche ?
Dieu aurait mieux fait d’envoyer, immédiatement, un homme fort, un leader, pieux, fort et convaincant, accompagné d’une soldatesque armée jusqu’aux dents. Pourquoi perdre son temps à se risquer avec un être, sans dent, incapable de se mouvoir, ni de parler encore ? Incapable de tout, désarmé et désarmant.
Dieu n’aurait-il pas pu envoyer un grand Fils, déjà adulte, descendant du Ciel, avec une armée d’anges ? Au moins ces derniers sont présents, mais peut-être pas au endroit.
Une armée céleste (Lc 2,8-14)
2, 8 Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. 9 L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. 10 Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11 Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. 12 Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » 13 Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : 14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »
Dieu perd son temps avec les bergers
On attendait donc un vrai Sauveur, un messie de Dieu venant avec son armée céleste combattre l’ennemi du Seigneur et d’Israël. Le Sauveur est là, mais trop fragile encore. Fort heureusement – et cela pourrait nous rassurer – sa naissance s’accompagne de la venue d’un ange et d’une armée céleste.
Pourtant, une fois de plus, Dieu perd son temps. Son armée céleste n’est pas mobilisée contre Auguste, ou contre Quirinius et l’armée romaine. Dieu ne l’envoie pas non plus aux grands-prêtres, aux sages et aux savants, pas même à Jérusalem et ses habitants.
Dieu perd son temps en envoyant cette armée d’anges jouer la chorale de Noël auprès de bergers, méprisés, infréquentables. L’armée du Seigneur se rend auprès de ceux que même le recensement semble avoir oublié, à ces analphabètes des champs, ces malodorants sans le sou, loin de Bethléem, dans la pleine nuit. Lumineuse visite nocturne.
Dieu perd son temps avec des gens sans pouvoir, ni savoir, ni piété. Dieu perd son temps auprès de ces destinataires méprisés.
Dieu perd son temps
Dieu perd son temps avec nous, et tel est son dessein. Dieu perd son temps avec nous. Il ne recherche ni l’immédiateté rassurante, ni la mainmise oppressante. Il perd son temps – c’est ce qu’on appelle la patience. Il ne recherche pas à imposer son pouvoir – c’est ce qu’on appelle la douceur. Il ne recherche pas à inculquer son savoir – c’est ce qu’on appelle l’humilité. Dieu perd son temps avec nous. Ou pour mieux dire : Dieu-avec-nous perd amoureusement son temps pour mieux nous trouver et s’offrir, patiemment.