Après l’adresse à Théophile (1,1a), Luc ouvre son ouvrage par un rappel de son évangile. Il n’en fait pas pour autant un résumé. Il apporte au lecteur des éléments nouveaux, voire discordants, sur le moment de l’ascension. Ces premiers versets vont insister sur le caractère eschatologique de l’assemblée des disciples et Apôtres.
1ère PARTIE (Ac 1,1-2,47) : LA PROMESSE DE L’ESPRIT
L’introduction ou plutôt l’inauguration du livre des Actes des Apôtres est composé de deux théophanies majeures : l’ascension (1,9-11) et le don de l’Esprit (2,1-13). Cette première section est composée de plusieurs scènes, dont le thème commun demeure la promesse et le don de l’Esprit. La dernière section sert aussi de transition vers la seconde partie (3,1-8,4).
- Jésus et les Apôtres au cénacle (1,1-8) – La promesse de l’Esprit
- Les 40 jours et l’ascension de Jésus (1,9-11) – La promesse de la parousie
- La prière au cénacle et le choix de Matthias (1,12-14) – Les Douze “redivivus”
- Le 50e jour et le don de l’Esprit (2,1-41) – La réalisation du don de l’Esprit
- La communauté de Jérusalem (2,42-47) – La réalisation de la communauté eschatologique
Remarque : Le texte biblique de ces commentaires suit la traduction de l’AELF. De même, pour les articles, le découpage tient compte des péricopes liturgiques. Dernière remarque : il est très difficile de trouver des œuvres artistiques liées à tous les épisodes des Actes des Apôtres, contrairement aux évangiles. Les articles seront donc moins illustrés qu’auparavant. Désolé.
1,1-3 Pendant 40 jours
Ac 1, 1 Cher Théophile, dans mon premier livre, j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné, depuis le moment où il commença, 2 jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis. 3 C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ; il leur en a donné bien des preuves, puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu et leur a parlé du royaume de Dieu.
Vivant après sa Passion
Le thème et le cœur du livre sont présentés. Le sujet grammatical, excepté la première proposition, est le Christ appelé Jésus. Ce Jésus de Nazareth est bien celui qui fut enlevé au Ciel. Celui qui fut l’acteur et le héraut de l’évangile sera toujours et encore le sujet de ce second volume. Luc rappelle ses faits et ses paroles (v.1a) depuis le commencement de son ministère jusqu’à cette ascension. Il insiste sur ce lien entre son évangile et les Actes des Apôtres. Pour le dire autrement, les récits qui vont suivre s’inscrivent dans la figure de Jésus, Christ, oint de l’Esprit (Lc 3,16 ;4,18), crucifié – ressuscité (Lc 22-24), manifestant, dès sa vie terrestre, l’inauguration du Royaume (Lc 4,44 ; 5,1 sq. ).
Ces trois éléments (Esprit, Passion, Royaume) seront encore très présents au sein du livre des Actes des Apôtres.
Ces derniers sont d’ailleurs ceux que Jésus a choisi durant son ministère : ils sont ceux qui ont accompagné Jésus durant sa vie terrestre, et sont maintenant instruit par le ressuscité durant 40 jours. Non que le ministère de Jésus ne fut pas un enseignement, mais sa vie est maintenant éclairée par sa Passion. L’accueil dans la foi du Ressuscité oblige à une réelle conversion et un enseignement nouveau, comme l’ont rappelé les épisodes des disciples d’Emmaüs et de la manifestation aux Onze : Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures (Lc 24,45)
Quarante jours
Les quarante jours rappellent ce temps de quarante années de marche des hébreux (Dt 2,7), comme aussi ces quarante jours de Jésus au désert (Lc 4,1-13). Mais il peut aussi faire référence aux quarante jours que Moïse passa sur le Sinaï pour recevoir la Loi (Ex 24,18 ; Dt 9,11). Dans la tradition juive, le chiffre 40 renvoie à l’accomplissement d’un enseignement. Jésus crucifié-ressuscité instruit ses disciples du Royaume qu’il a inauguré. Il ne s’agit pas d’un savoir, d’une somme de connaissances, mais d’une parole, de La Parole, c’est-à-dire d’une relation vivante. Luc se refuse à toute illumination immédiate des Apôtres au jour même de la résurrection. On se rappelle leur questionnement et leurs doutes (Lc 24,11) ainsi que ceux des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-35). Ces quarante jours sont un temps de maturation en présence du Ressuscité. C’est d’ailleurs au sein d’un repas, lieu de partage et de communion, que se situe la suite du récit.
1,4-8 Vous allez recevoir une force
1,4 Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. Il déclara : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : 5 alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » 6 Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » 7 Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. 8 Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Au cours d’un repas
Le repas est lieu de prédilection de l’évangéliste. Sans doute, Luc s’inspire-t-il des symposiums grecs où le repas servait aussi pour l’enseignement d’un maître ou d’un débat philosophique. Ce repas postpascal doit être également relié avec les repas du Ressuscité à Emmaüs où il se fit reconnaître à la fraction du pain (Lc 24,35), comme aussi avec les Onze, à qui il demanda : Avez-vous ici quelque chose à manger ? (Lc 24,41) Cette répétition du cadre est des paroles ne sert pas seulement le lien entre les deux volumes ad Theophilum. Ils apportent des éléments nouveaux.
La promesse du Père
Ces versets reprennent les derniers versets de l’évangile avant l’ascension :
Lc 24, 46 Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, 47 et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. 48 À vous d’en être les témoins. 49 Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. »
La promesse du Père (Lc 24,49) est aussi celle du Fils. Elle devient plus explicite avec ce baptême dans l’Esprit. L’expression est tirée des paroles du baptiste et désignait l’action du Messie (Lc 3,16). La venue de l’Esprit de Dieu sur les fils d’Israël est, dans l’eschatologie juive du Ier siècle, associée à l’avènement d’un nouveau règne et d’une Alliance nouvelle, comme l’annonçait les prophètes Ézéchiel et Jérémie :
Jr 31, 33 Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés – oracle du Seigneur. Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.34 Ils n’auront plus à instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands – oracle du Seigneur. Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.
Éz 36, 26 Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair.27 Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles.
La promesse du Père d’envoyer son Esprit Saint répond à cette espérance. Elle se réalisera avec le moment de la Pentecôte mais également tout au long de ce livre.
Le baptême à venir
La notion de baptême dans l’Esprit, ne peut être compris qu’à l’aune du baptême du Christ qu’est sa Passion. Ainsi le rappelait Jésus dans l’évangile : Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! (Lc 12,50)
L’effusion de l’Esprit, promis par le Père et le Fils, ne fait pas l’économie de la Croix. La Passion demeurera souvent en filigrane des récits des Actes de Apôtres. Cette force, cette puissance dont les Apôtres vont être investi n’est autre que l’Esprit de Dieu et du Fils, livrant sa vie pour les siens et révéler le dessein du Père. Mais, cela les Apôtres ont encore à le découvrir. À ce moment du récit, ils demeurent dans le questionnement.
Rétablir le royaume
Les disciples et apôtres s’interrogent : Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ?
La réponse de Jésus va les obliger, eux comme le lecteur, à plusieurs déplacements voire conversions. L’attente eschatologique des Apôtres doit s’inscrire dans la dimension pascale de la croix. Le premier déplacement est temporel. À l’immédiateté attendu des Apôtres (maintenant) répond la soumission au plan du Père. Le royaume s’inscrit dans le temps de Dieu. De la même manière, à l’attente d’une action grandiose par le Ressuscité lui-même, répond leur investiture prochaine, par l’Esprit, en tant que témoins du Crucifié-Ressuscité. Au « quand tu vas rétablir » correspond ces « vous allez recevoir » et « vous serez alors mes témoins ». De même ce rétablissement du royaume pour Israël, devient une annonce à dessein universelle qui déborde la cadre judéen et juif, et même samaritain, atteignant les extrémités de la terre.
L’inattendu sera au rendez-vous des Apôtres qui franchiront des frontières. Comme nous le verrons, celles-ci ne seront pas seulement géographiques.
1,9-11 Pourquoi restez-vous là ?
1,9 Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. 10 Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s’en allait, voici que, devant eux, se tenaient deux hommes en vêtements blancs, 11 qui leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »
Une deuxième ascension ?
Dans l’évangile de Luc, le récit de l’ascension vient conclure son récit. Il se situait le jour même de la résurrection (Lc 24) : depuis le matin avec les femmes, au cours de la journée jusqu’au soir avec les disciples à Emmaüs puis aussitôt à Jérusalem avec l’ensemble des disciples et apôtres. L’ascension se plaçait dans cette continuité, juste après l’envoi en mission des disciples et la promesse du don de l’Esprit. Dans l’évangile de Luc, l’ascension de Jésus est décrite en ces quatre versets :
Lc 24, 50 Puis Jésus les emmena au dehors, jusque vers Béthanie ; et, levant les mains, il les bénit. 51 Or, tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel. 52 Ils se prosternèrent devant lui, puis ils retournèrent à Jérusalem, en grande joie. 53 Et ils étaient sans cesse dans le Temple à bénir Dieu.
Or, dans le livre des Actes, les éléments sont différents. En effet, ici le récit d’ascension advient au terme de 40 jours depuis la résurrection et non le jour même. Nous sommes à Jérusalem au Mont des Oliviers et non plus à Béthanie ; au cours d’un repas et non d’une bénédiction. L’élévation de Jésus vers le ciel s’accompagne ici d’une nuée divine. Il ne sera plus question de Temple mais de sabbat (v.12), on se demande bien s’il s’agit d’une indication chronologique ou symbolique, le sabbat ayant une connotation fortement messianique, tout comme la ville de Jérusalem. Les onze Apôtres, qui semblent ici les seuls concernés, ne se prosternent plus face et paraissent au contraire comme interdits. Deux hommes en vêtements blancs, ressemblant à ceux du tombeau vide (Lc 24,4), les rappellent à l’ordre et leur annoncent le retour du Christ à la fin des temps. S’il fallait dresser un tableau des différences et ressemblances, ces dernières seraient plutôt restreintes. Cela a de quoi sans doute nous dérouter.
Une réalité d’importance
Si Luc conclut son évangile par le récit de l’ascension et que celui-ci sert aussi d’introduction aux Actes des Apôtres, c’est qu’il possède une fonction charnière d’importance. L’événement doublé n’est pas une simple répétition narrative. Il s’agit du même événement désignant l’exaltation du Christ après Pâques. Luc donne sens à la résurrection. L’ascension du jour de Pâques (Lc 24) permet de saisir l’identité éminente de Jésus. Celui-ci bénit ses disciples en élevant les mains, tel un grand-prêtre bénissant son peuple (Lv 9,22) lors de son investiture. Dans l’évangile, le récit permet d’identifier Jésus comme le Christ et Seigneur. Les deux récits d’ascension ne s’opposent pas, ils s’éclairent. La présence des deux hommes vêtus de blanc dans les récits de résurrection et d’ascension (Lc 24,4 et Ac 1,10) assure l’unité de ces deux événements. Dans les Actes des Apôtres, la parole de ces deux personnages insistent moins sur ce départ que sur son retour : la parousie. L’ascension n’est donc pas un départ du Christ, loin des préoccupations de ses disciples. Il est celui qui demeure le Fils de l’homme et juge eschatologique et qui reviendra pour un Jugement définitif (Lc 21).
Ces deux ascensions (Lc 24 / Ac 1) permettent ainsi de comprendre la permanence du Ressuscité à ses disciples et au monde, de début à la fin. Avec l’ensemble de ce passage, l’ascension du Christ inaugure ce temps eschatologique du Royaume dont les disciples en seront le signe : les témoins.