Ce chapitre 3 ouvre une nouvelle section du livre des Actes des Apôtres. La communauté des disciples, décrite précédemment, devra faire face à l’opposition des autorités religieuses du Temple, mais aussi à ses premières crises internes.
2ème PARTIE (Ac 3,1-8,4) : L’ÉGLISE EN PROCÈS
L’ensemble des chapitres 3 à 7 est caractérisé par l’unité de lieu : tout se déroule à Jérusalem. Cependant, l’activité des Apôtres au Temple est contestée par les autorités religieuses tandis que, parallèlement, la communauté de partage est mise à mal par certains de ses membres. Les différentes séquences, encadrées par des sommaires de transition, alternent conflits avec le sanhédrin et crises internes à la communauté. Des tensions dramatiques qui iront crescendo, depuis la simple arrestation de Pierre et Jean, à la lapidation d’Étienne.
- Sommaire 2,42-47 communauté de partage
- 1er conflit externe : La guérison d’un paralytique et le Sanhédrin (relâchés) 3,1-4,31
- Sommaire 4,32-35 communauté de partage
- 1er conflit interne : sur le partage des biens , le mensonge d’Ananie et Saphira 4,36-5,11
- Sommaire 5,12-14 Accroissement de la communauté
- 2e conflit externe : Les guérisons de Pierre et le Sanhédrin (fustigation) 5,15-41
- Sommaire 5,42 L’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus Messie
- 2e conflit interne : sur le partage des services, la plainte des Hellénistes 6,1-6
- Sommaire 6,7 Accroissement de la communauté
- 3e conflit externe : Les guérisons d’Étienne et le Sanhédrin (lapidation) 6,8-8,3
- Conclusion et sommaire 8,4 L’annonce de la Bonne Nouvelle
Chaque péricope suit comporte les mêmes éléments : un événement, une intervention de Pierre, un jugement suivi d’un verdict et ses effets (réactions, …). Le premier conflit survient à l’occasion du premier miracle raconté dans les Actes.
Un récit de guérison
Ce récit de guérison se situe dans la continuité du sommaire précédent qui décrivait la vie de la communauté, dont son assiduité au Temple (2,46) et les signes et prodiges (2,44) des Apôtres. La guérison du boiteux, en cet endroit, illustre le déploiement de la communauté des disciples animés par la foi et l’Esprit. Mais la fonction du récit permet aussi d’ouvrir un autre volet au livre des Actes. Avec ce passage (3,1-11), Pierre donne le sens pascal de ce signe miraculeux à son auditoire (3,12-26). L’affaire débouchera également sur l’arrestation des Apôtres, occasion d’un autre témoignage sur le Christ (4,1-22).
3,1-3 Un infirme de naissance
3, 1 Pierre et Jean montaient au Temple pour la prière de l’après-midi, à la neuvième heure. 2 On y amenait alors un homme, infirme de naissance, que l’on installait chaque jour à la porte du Temple, appelée la « Belle-Porte », pour qu’il demande l’aumône à ceux qui entraient. 3 Voyant Pierre et Jean qui allaient entrer dans le Temple, il leur demanda l’aumône.
Pierre et Jean à la Belle Porte
La scène se déroule au Temple à l’occasion de la 2e prière de la journée1. Luc mentionne-t-il cette neuvième heure en référence à la Passion de Jésus (Lc 23,44) ? Aucun autre élément ne vient confirmer cette interprétation possible. L’heure du rassemblement pour la prière illustre, avant tout, la fidélité des Apôtres et des disciples de Jésus à la communauté juive. Une conviction récurrente dans le livre des Actes.
Au sein de ce cadre rassemblant la communauté des fils d’Israël, la présence de Pierre et Jean indique l’action collégiale des Apôtres, deux par deux (Lc 10,1), associée, dans l’évangile, à l’annonce du Royaume. On retrouvera ce même duo, lors du chapitre 8 (8,14.17.23).
La mention de l’infirme vient en contraste. Alors que nos deux Apôtres se meuvent librement, un homme infirme, depuis sa naissance, seul, est amené, et installé à la Belle-Porte. Lui, en raison de son handicap le mettant dans une situation d’impureté, ne pourra entrer dans l’espace réservé aux fils d’Israël et participer à la prière. Il ne peut que mendier pour survivre de l’aumône que lui donneront les fidèles attachés à ce devoir croyant.
Aucun document n’indique l’emplacement d’un accès appelé « Belle-Porte » que beaucoup associe à celle, dite de Nicanor, proche du portique de Salomon (3,11), et ouvrant l’accès au parvis des croyants (cf. illustration). Cette « Belle-porte » d’entrée n’est pourtant pas accessible à cet infirme mendiant.
3,4-8 Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen
3, 4 Alors Pierre, ainsi que Jean, fixa les yeux sur lui, et il dit : « Regarde-nous ! » 5 L’homme les observait, s’attendant à recevoir quelque chose de leur part. 6 Pierre déclara : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche. » 7 Alors, le prenant par la main droite, il le releva et, à l’instant même, ses pieds et ses chevilles s’affermirent. 8 D’un bond, il fut debout et il marchait. Entrant avec eux dans le Temple, il marchait, bondissait, et louait Dieu.
La guérison
La rencontre entre cet infirme et nos deux Apôtres commence par un échange de regards : l’infirme voit ces deux hommes dont il espère l’aumône. Mais Pierre et Jean le fixent du regard, montrant ainsi l’attention particulière qu’ils lui portent, et lui demandent, à son tour, de les regarder. Et pourtant, il n’y a rien à voir : ni or, ni argent. Rien qui ne brille. De même l’acte de guérison n’est guère démonstratif : ni grand geste, ni prière. Juste une parole, simple mais performative : ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche. Associé à ces mots, le texte associe un geste. L’un et l’autre ne sont pas sans rappeler les guérisons de Jésus :
- Lc 5,24 Jésus dit au paralysé: “Je te dis, lève-toi, prends ta civière et va dans ta maison.”
- Lc 8,54 Mais lui, prenant sa main, l’appela: « Mon enfant, réveille-toi. »
Au nom de Jésus, Christ, le Nazoréen
L’invocation du nom de Jésus, n’est pas seulement déclaratif. L’acte de guérison devient signe et prodige de l’avènement du Nom (2,21.38) et du règne attendu, via la foi que possèdent ses Apôtres. Le don d’or et d’argent n’aurait servi qu’à la survie de l’infirme. Le don des Apôtres sert définitivement, dans une charité profonde, à sa vie entière. L’infirme désormais marche et bondit en louant Dieu, accomplissant la parole du prophète Isaïe : Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie (Isaïe 35,6).
Le changement est radical. Celui qui ne pouvait se mouvoir, marche. Celui qui mendiait, loue le Seigneur. Celui qui demeurait à la « Belle-Porte », peut désormais la franchir et pénétrer dans le Temple, avec les Apôtres. L’infirme est désormais debout, signe d’une vie offerte par le Ressuscité.
3,9-11 Tout le peuple
3, 9 Et tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. 10 On le reconnaissait : c’est bien lui qui était assis à la « Belle-Porte » du Temple pour demander l’aumône. Et les gens étaient frappés de stupeur et désorientés devant ce qui lui était arrivé. 11 L’homme ne lâchait plus Pierre et Jean. Tout le peuple accourut vers eux au Portique dit de Salomon. Les gens étaient stupéfaits.
Les réactions
Comme après l’événement de la Pentecôte, Luc multiplie le vocabulaire de la stupéfaction. En reconnaissant la validité du miracle immédiat, et l’identité (nouvelle) du miraculé, « tout le peuple » est stupéfait, désorienté, frappés de stupeur. Cette accumulation souligne à la fois l’étonnement face au miracle avéré, mais aussi l’incompréhension qu’il suscite. L’étonnement est d’autant plus grand que cette guérison déroutante n’est pas celle d’un handicap occasionnel, mais d’une situation durable : l’homme est infirme depuis sa naissance. Ce n’est pas un retour à un état précédent, mais une réelle re-naissance. Qui peut accomplir un tel acte ? L’intervention de Pierre (3,9-11) va éclairer cette incompréhension et ce questionnement suggéré.
Une autre réaction doit nous surprendre : l’infirme ne lâchait plus Pierre et Jean. On peut bien sûr y voir, la reconnaissance légitime d’un miraculé envers son guérisseur. Or, le verbe kratéo (κρατέω) rend davantage compte d’un attachement solide. Littéralement : Comme il tenait/saisissait Pierre et Jean… Il est entré avec eux, demeure avec eux et s’attache à eux. L’infirme, par sa louange à Dieu, a montré qu’il a saisi l’origine divine de sa guérison. Pourtant, quoiqu’empêché depuis sa naissance de pénétrer dans l’espace réservé aux juifs indemnes de toutes impuretés, il n’y entre pas pour autant. En s’agrippant à Pierre et Jean, sous ce portique de Salomon, il s’attache aussi à ce nom prononcé en sa faveur. Il se tient, certes, à l’écart du lieu des sacrifices, mais non loin du salut.
Ce qu’exprimera Pierre durant son intervention dans le Temple.
- Trois prières ponctuent les activités du Temple. La première a lieu dès l’aube, le 2e à 15 heure, suivi du sacrifice quotidien, et la dernière au coucher du soleil ↩︎