2 février. Présentation de Jésus au Temple
2 février : fête de la présentation au Temple (Chandeleur) et jour particulier où l’on aime déguster les crêpes… Et, ma curiosité de bibliste m’a amené à cette question : y’a-t-il des crêpes dans la Bible ?
Présentation au Temple et Chandeleur
Ce jour célèbre, pour les chrétiens, la présentation de Jésus au Temple, 40 jours après sa naissance comme le raconte l’évangéliste Luc (Lc 2,22). Je vous renvoie au commentaire de ce site qui vous éclairera sur ce texte. Plus communément, ce même jour est appelé “fête de la Chandeleur“, du latin festa candelarum (fête des chandelles). Ceci en raison de la liturgie durant laquelle on bénit des cierges illuminés afin de commémorer le Christ Lumière du monde, selon la parole du vieux Syméon qui, tenant l’enfant Jésus, dans ses bras déclara : … mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples : lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël. (Lc 22,30-32)
On a souvent associé cette fête à une christianisation d’anciens cultes comme celui des Lupercales romaines célébrées entre les 13 et 15 février. Cependant, cette hypothèse n’est pas certaine : les traces les plus anciennes de cette fête proviennent de Jérusalem, au 4e siècle (cf. article wikipédia), loin de Rome.
Et les crêpes dans tout ça ?
Si l’on comprend le lien biblique entre la fête de la Chandeleur et le thème de la lumière, pourquoi y associe-t-on la préparation de crêpes ? Cette coutume ne serait présente qu’en France, en Belgique et en Suisse romande. Le même article wikipédia fait l’association avec l’aspect rond de cette petite galette évoquant le soleil et sa lumière ; lumière du jour qui en cette période hivernale ne cesse de croître. Et vous trouverez bien d’autres explications symboliques et pieuses (parfois contradictoires) sur internet. Bref, l’origine de la coutume de faire des crêpes à cette occasion est des plus floues.
Mais revenons à mon interrogation initiale : La Bible fait-elle mention de crêpes ? Attention, soyons clairs : je ne cherche aucunement une origine biblique à la coutume des crêpes lors de la Chandeleur. Cependant, je ne trouve pas inutile se poser la question, certes futile, de ces crêpes bibliques.
Crêpes bibliques
Bien évidemment, il n’existe pas de crêpes bretonnes dans la Bible, même en faisant appel à sainte Anne, mère de Marie selon la tradition et patronne de la Bretagne… Le terme de “crêpe” peut renvoyer à une petite galette ou au pain pita oriental. Nous sommes néanmoins dans le même type de recette basique.
J’ai trouvé l’usage du mot crêpe uniquement dans la Traduction Œcuménique de la Bible (T.O.B. 2010). Et son emploi est assez éclairant pour notre sujet. Dans la T.O.B., ce mot est associé à deux thèmes : celui de l’offrande rituelle et du réconfort. D’ailleurs deux mots hébreux (et grecs) différents sont employés de manière distincte.
L’offrande rituelle
Dans le livres de l’Exode (Ex 29,2.23) et du Lévitique (Lv 8,26), la crêpe (en hébreu : raqiq רָקִיק) est employé, sans levain, lors du rituel de la consécration des prêtres aaronides (les fils d’Aaron), parmi d’autres offrandes. C’est toujours dans le cadre d’une consécration qu’on retrouve ce terme, puisqu’il est évoqué pour le naziréat (Nb 6,15.19) durant lequel un homme ou une femme s’engage de manière ponctuelle à se consacrer au Seigneur. Le grec de la Septante use du mot laganon (λάγανον) qui désigne un beignet : un petit gâteau de miel frit dans l’huile.
Outre l’ordination du sacerdoce aaronide et le naziréat, le même mot est utilisé lors des offrandes végétales (Lv 2,4), à l’occasion d’un sacrifice de paix et de louange (Lv 7,12)
Lv 7, 11 Et voici le sacrifice de paix qu’on présente au Seigneur : 12 Si on le présente pour accompagner la “louange”, on présente avec le sacrifice de louange des gâteaux sans levain pétris à l’huile, des crêpes sans levain frottées d’huile et des gâteaux faits de farine bien mélangée et pétris à l’huile; 13 en plus des gâteaux, on apporte en présent du pain levé pour accompagner le sacrifice de paix offert en louange.
La douceur réconfortante
Dans la Bible, un autre passage fait mention de l’usage de “crêpes”. C’est d’ailleurs le seul endroit où l’hébreu use du mot leviva (לְבִיבָה), et le grec : kolluris (κολλυρίς, petite galette ronde qu’on offrait souvent aux enfants). Un terme proche de l’hébreu levav (לֵבָב) désignant le cœur ou la personne elle-même. Et ce passage est pourtant dramatique puisqu’il s’agit du viol de Tamar par son demi-frère Amnon, fils de David (2S 13). Ammon est fou de désir pour sa demi-soeur, et use d’un prétexte pour l’approcher.
2S 13, 6 Amnon se coucha et fit le malade. Le roi vint le voir, et Amnon dit au roi: « Permets que ma sœur Tamar vienne confectionner sous mes yeux deux crêpes, qu’elle me les apporte, et je mangerai. » 7 David envoya dire à Tamar chez elle: « Va donc chez ton frère Amnon et apprête-lui de la nourriture. » 8 Tamar s’en alla chez son frère Amnon. Il était couché. Elle prit de la pâte, la pétrit, confectionna les crêpes sous ses yeux et les fit cuire. 9 Puis elle prit la poêle et la vida devant lui, mais il refusa de manger. Amnon dit: « Faites sortir tout le monde d’ici. » Et tous ceux qui étaient près de lui sortirent.
On devine la suite dramatique… C’est là où l’hébreu joue avec le mot ‘crêpe‘ (leviva) que désire (faussement) manger Amnôn, alors qu’il désire la personne (levav) de Tamar contre son gré. Ce récit pourrait faire l’objet d’une étude développée. Cependant, ce n’est pas à ce drame que je vais faire référence.
En dehors de son usage pernicieux par Amnon, la crêpe apparaît comme un plat de réconfort que prépare Tamar pour un de ses frères malades. A ce point du récit, Amnon en demande deux. Et l’on peut penser que si ce n’est pour lui-même (égoïstement), c’est aussi pour les partager (généreusement) avec sa sœur. Rien ne permet de trancher sinon la suite du récit.
La crêpe représente donc un plat de réconfort, d’amitié partagée… Comme le sont nos crêpes de Chandeleur en espérant qu’elles ne soient pas dévoyées pour un dessein criminel, évidemment.
Consécration, Paix et Réconfort
Consécration dans l’attachement à Dieu, Paix dans l’action de grâce, réconfort dans le partage… Finalement, nos crêpes de la Chandeleur n’en sont pas si loin puisqu’elles expriment, en ce jour, la joie de célébrer notre attachement à cette ‘lumière du monde‘ et celle de les partager fraternellement. Consécration, Paix et Réconfort : trois ingrédients pour une meilleure recette de crêpes !
Bonne dégustation.
Merci de ces recherches qui donnent, aux crêpes, un goût théologique que Sainte Anne n’aurait pas méprisé !
J’y vois aussi une similitude de forme et de couleur avec la galette des rois, tout aussi conviviale. Elle était, je crois, proposée par les étudiants de Paris contre menue monnaie pour leur permettre d’aller comme les mages en pèlerinage à Bethléem.
Merci pour cette information !